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mardi 3 février 2015

De Plovan à la Mayenne : la "success story" des Drézen

De nombreuses communes bigoudènes peuvent s'enorgueillir de leurs dynasties d'entrepreneurs : les Hénaff à Pouldreuzic, les Larzul à Plonéour-Lanvern, qui ont célébré au cours des dernières années leur siècle d'existence, les Furic au Guilvinec... Commune résolument tournée vers l'agriculture, Plovan n'a pas connu pareille aventure économique sur son sol bien qu'il ait vu naître, en 1872, Sébastien Raphalen, fondateur de l'usine du même nom, active à Plonéour-Lanvern entre 1926 et 1990. Un autre enfant de Plovan, moins connu, a lui aussi réussi à développer une activité industrielle remarquable : Pierre-Marie Drézen, dont nous vous proposons de découvrir ici le parcours.

I – Une enfance plovanaise


Alphonse Maudet Pierre Marie Drézen, que tout le monde appelait Pierre-Marie, est né le 14 juillet 1909 à Kergoë en Plovan. Il est le fils de Maudet Drézen, 42 ans, et de Marie-Corentine Hascoët, 35 ans, couple de cultivateurs originaire de Tréogat arrivé à Plovan entre 1901 et 1906. La famille s'est installée dans une petite ferme à Kergoë (ou Prat Kergoë), à l'ouest du bourg sur le chemin de la mer. Outre les parents, elle comprend déjà 3 filles : Maria, Marie-Jeanne et Catherine, alors âgées de 13, 10 et 9 ans, nées à Tréogat et à Saint-Jean-Trolimon.

Maudet Drézen (2 mars 1867, Tréogat – 3 novembre 1950, Plovan) et Marie Corentine Hascoët (4 janvier 1875, Tréogat – 26 novembre 1929, Plovan), mariés en 1894, parents de :
  • Maria Drézen (30 août 1895, Tréogat – 15 janvier 1976, Pouldreuzic), mariée à Jean-Marie Kerouédan en 1919 à Plovan.
  • Marie Jeanne Drézen (1er octobre 1898, Plogastel-Saint-Germain – ?), mariée à Jérôme Le Pape en 1923 à Plovan.
  • Catherine Drézen (2 octobre 1900, Saint-Jean-Trolimon – 23 août 1915, Plovan).
  • Pierre-Marie Drézen (14 juillet 1909, Plovan – 3 janvier 1983, Angers), marié à Léontine Loussouarn en 1934 à Plovan.

Cette partie de la commune, beaucoup moins bâtie qu'elle ne l'est de nos jours, n'en est pas forcément moins peuplée ni dynamique. Dans le recensement de 1906, le quartier que les Plovanais appellent depuis longtemps déjà la Cannebière, c'est-à-dire la terre où on cultive du chanvre (cannabis en latin), compte huit foyers : des cultivateurs avec les ménages Corre, Boennec, Goyat, Pape, Le Pape et Kerallan, des menuisiers avec la famille Raphalen et des forgerons avec la famille Faou. Le même document indique plusieurs familles de cultivateurs à Prat Boloc'h (Goanec et Lautridou), à Ru-Vein (Lappart et Madec) et à Crémuny (Thomas, Guichaoua et Keravec). C'est dans ce milieu que grandit Pierre-Marie Drézen.
Non loin de là, l'étang de Kergalan offre un cadre de jeux apprécié des enfants des alentours, pour la pêche comme pour les baignades. Mais le 23 août 1915, le jeu se mue en drame lorsque le petit André Tanguy, 7 ans, de Crémuni, décide de se baigner dans un lavoir à proximité de l'étang. Quelques instants plus tard, une des sœurs aînées de Pierre-Marie, Catherine Drézen, 14 ans, occupée à étendre du linge sur les galets pour le faire sécher, entend des cris poussés par le petit garçon. Se précipitant à son secours, elle tombe à son tour dans l'eau et périt noyée. Malgré leurs efforts, les adultes accourus sur place à la nouvelle de cette double noyade (le garde de l'étang Noël Boissel, le cultivateur Corentin Raphalen, les institutrices Pauline Jouin et Gabrielle Guennec, le douanier Dumonstier) ne parviennent pas à les réanimer. L'histoire est rapportée en différentes versions dans les journaux de l'époque et dans le recueil de souvenirs de Georges Goraguer. Selon l'une d'elle, Pierre-Marie Drézen, âgé seulement de 6 ans, aurait assisté à toute la scène et serait allé prévenir ses parents qui seraient arrivés malheureusement trop tard pour sauver les deux enfants.

II – Un parcours novateur

Quelques semaines plus tard, le jeune Pierre-Marie fait sans doute sa première rentrée à l'école publique des garçons de Plovan. Il la fréquente vraisemblablement entre 1915 et 1922, peut-être au-delà (les registres d'appels prouvent au moins sa présence entre 1916 et 1919). Au cours de ces années, l'école publique est successivement dirigée par Jean Goraguer (jusqu'en 1917), Joseph Douguet (entre 1918 et 1921) et Jean Kernaflen (entre 1921 et 1924). Faisant preuve d'excellentes aptitudes, on imagine qu'il est repéré par ses instituteurs qui l'engagent à poursuivre ses études.
Le hasard fait que, lorsqu'il achève ses études primaires, une toute nouvelle école est sur le point d'ouvrir ses portes aux fils de paysans : l'école d'agriculture de Bréhoulou, à Fouesnant. Elle est née d'un legs d'une valeur estimée à 650 000 francs, somme considérable à cette époque, décidé en 1917 par Alfred Buzaré (1843-1919), riche propriétaire fouesnantais en faveur du conseil général du Finistère. Le donataire consent à ce geste à l'unique condition que le conseil général fasse édifier une « ferme-école d'agriculture » à Bréhoulou, domaine compris dans le legs. Les travaux commencent en 1923, une fois réglés les problèmes juridiques nés de la contestation du frère cadet du légataire, peu enclin à se voir privé de ce qu'il considère être son héritage. L'école de Bréhoulou accueille ses premiers élèves fin 1924. Certainement soutenu par ses parents et ses instituteurs, Pierre-Marie Drézen fait partie des tous premiers élèves à entrer dans le nouvel établissement scolaire, à une époque où la formation professionnelle reste rarissime dans les familles paysannes. Le conseil municipal de Plovan lui manifeste ses encouragements en votant à son attention deux subventions de quelques centaines de francs en novembre 1925 et en juin 1926. Le jeune Drézen obtient son examen de sortie en août 1926, à 17 ans, neuvième d'une promotion de 17 élèves.
Devenu fromager, Pierre-Marie Drézen, toujours domicilié chez son père, fréquente puis épouse une jeune plovanaise de trois ans sa cadette, habitant à Kergurun, une ferme proche de Prat Kergoë. Le 21 janvier 1934, Léontine Yvonne Marie Loussouarn et Alphonse Maudet Pierre Marie Drézen se marient à la mairie de Plovan. La noce a lieu chez Goanec au bourg, comme l'atteste la photo ci-dessous.

Photographie de mariage de Pierre-Marie Drézen et de Léontine Loussouarn, en 1934


Léontine Loussouarn, sa jeune épouse, est née le 29 septembre 1912 à Kergurun, une des grandes fermes que compte alors Plovan. Elle lui apporte une dot de 35 000 francs. Pour ses noces, elle porte le costume de mariée conçu en 1931 pour sa belle-sœur, Marie-Jeanne Le Bec (en haut à gauche de la photographie, devant son mari Pierre Loussouarn « fils »), composé d'un gilet de velours noir brodé de motifs floraux et d'un tablier blanc lui aussi brodé. Derrière elle, on voit ses parents : Pierre Loussouarn, 61 ans, la main droite glissé dans sa veste, et Marie-Anne Le Brun, petite femme de 56 ans, dont la coiffure et le costume sobres contrastent avec ceux des autres invitées.
 
 
 
III – L'implantation en Mayenne

L'établissement dont il prend la tête a déjà deux décennies d'existence : il a été fondé en 1912 par Albert Le Masne de Brons (1848-1930), industriel du fromage établi à Nantes, qui a acheté le « château » du Bois Belleray sur la commune de Martigné-sur-Mayenne pour y fonder une fromagerie. En 1931, un an après la mort du fondateur, l'entreprise est vendue à « Deswarte et Cie » puis, en 1933, à René Duchemin de Vaubernier (1868-1955), entrepreneur originaire de Laval, qui a laissé son nom à l'entreprise. C'est ce-dernier qui fait appel à Pierre-Marie Drézen.
D'employé, celui-ci passe bientôt à associé puis, au fil du temps, devient propriétaire majoritaire de l'entreprise. En 1937, la fromagerie devient une société anonyme (SA). Elle change encore de statut en 1957 pour devenir la SAS Vaubernier. Jean Drézen (né en 1934) succède à son père et poursuit le développement de l'entreprise. Conservant la présidence du directoire de la société, il cède la direction de la PME à sa femme Claire qui l'a elle-même depuis laissée à leur fille Catherine (née en 1971). Troisième génération de Drézen à la tête de la fromagerie, elle dirige toujours l'entreprise actuellement.

C. Drézen posant à côté d'une ancienne baratte en 2012 lors du centenaire de la fromagerie


Avec ses 112 salariés et ses 47 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013, la société « Vaubernier – Fromagerie du Bois Belleray » est une très belle réussite. Travaillant en relation étroite avec environ 300 exploitations laitières des alentours, l'entreprise collecte 90 millions de litres de lait annuellement avec lesquels elle fabrique 20 millions de produits (camemberts, bries, coulommiers, beurre...).

Vue aérienne de la fromagerie Vaubernier, à Martigné-sur-Mayenne



La qualité de ces-derniers et une stratégie commerciale efficace ont permis une diffusion beaucoup plus large au cours des dernières années. Un million de camemberts sont vendus chaque mois ! On peut désormais acheter le camembert « Bons Mayennais », le produit-phare de la fromagerie, dans de nombreuses grandes surfaces du Nord et de l'Ouest de la France.


Camembert "Bons Mayennais", le produit le plus fameux de la fromagerie Vaubernier



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Pierre-Marie et Léontine Drézen, le couple à l'origine de cette histoire, sont restés fidèles à leurs origines plovanaises et ont conservé malgré la distance des liens forts avec leur famille restée au pays. Disparus respectivement en 1983 et 2012, ils ont su transmettre cet attachement à leurs descendants qui, huit décennies plus tard, continuent à garder des attaches à Plovan !


Mathieu GLAZ



Pierre-Marie Drézen et Léontine Loussouarn en mariés, en 1934


Sources et webographie


Archives de la famille Loussouarn de Kergurun.


Archives municipales de Plovan (registre des délibérations 1925-1935).



Archives de la classe-patrimoine de Plovan (registres d'appels 1916 à 1919).



QUARTIER Thibault, « La si discrète patronne d'un camembert centenaire... », Ouest-France du 18 avril 2012.

dimanche 5 octobre 2014

Conférence de Maurice Lucas : la vie politique dans le Pays bigouden sous la IIIe République

L'Association du Patrimoine vous propose d'assister, comme l'an passé avec la projection du film de René Caron sur les prisonniers de la Deuxième Guerre mondiale, à une conférence de Maurice Lucas sur la vie politique à Plovan et plus largement dans le Pays bigouden au début de la IIIe République (1870-1914). Elle aura lieu dimanche 26 octobre 2014, à 16 h., salle polyvalente de Plovan.
 
Affiche de la conférence de Maurice Lucas
 
Maurice LUCAS est un professeur d'histoire et un historien spécialiste de la vie politique sous la IIIe République (1870-1940). Auteur d'un mémoire de maîtrise en 1975 sur les Luttes politiques et sociales à Douarnenez, 1890-1925, il poursuit ses recherches en doctorat, élargissant son champ d'investigations initial à l'ensemble du sud-ouest du département. Sa thèse, intitulée L'évolution politique de la Cornouaille Maritime sous la IIIe République, est soutenue à Brest en 1982. Aujourd'hui chercheur associé au CRBC, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles où il s'est entre autre penché sur la personnalité de Georges Le Bail, maire de Plozévet et parlementaire finistérien incontournable de cette période pour les Bigoudens. Signalons son dernier ouvrage : Les socialistes dans le Finistère (1905-2005) paru en 2005 à l'occasion du centenaire du Parti socialiste.
 
Maurice Lucas, notre conférencier
 
La conférence qu'il nous propose portera sur la vie politique dans le Pays bigouden, notamment à Plovan, au début de la IIIe République (1870-1914) : « Le Pays bigouden n'est pas un isolat à l'écart des grands mouvements politiques qui traversent le pays entre 1870 et 1914. La construction et l'établissement de la République y rencontrent des soutiens et des oppositions passionnés qui s'incarnent dans des personnages emblématiques dans lesquels se reconnaissent les fidélités et les répulsions qui s'expriment au moment essentiel et privilégié des élections ».

mardi 2 septembre 2014

Henri Bossec, un copiste plovanais du XIVe siècle

Un manuscrit en latin de la fin du XIVe siècle, les Postilles sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, écrit par le théologien et exégète français Nicolas de Lyre quelques décennies auparavant, nous apprend l'existence d'un copiste nommé Henri Bossec, natif de Tréfranc en Plovan. Tentons d'en savoir plus sur ce personnage et sur son parcours.

 
Un lettré sorti de l'oubli

Vivant dans la seconde moitié du XIVe siècle, Henri Bossec semble avoir rapidement sombré dans un oubli complet dont il ne sort que durant le premier quart du XXe siècle. C'est à cette époque qu'Antoine Thomas (1857-1935), membre de l'Institut, redécouvre son existence.
 


Antoine THOMAS (1857-1935)

En 1922, dans le 66e volume des Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, cet historien de la littérature et philologue réputé indique avoir relevé – via notamment le catalogue de manuscrits dressé par Charles Kohler – 3 phrases nommant un même personnage dans les manuscrits 35 et 36 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, exemplaire des Postilles sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament du théologien franciscain Nicolas de Lyre. Il les transcrit et en donne les traductions suivantes :
  • « H. Bossec, diocessi Cornubie natus uillula uocata Tresfranc » (Paris, Sainte-Geneviève, 35, f. 337) traduit en « H. Bossec, né au village appelé Tresfranc au diocèse de Cornouaille »
  • « Henri Bossec ascruiuas aman » (Paris, Sainte-Geneviève, 36, f. 261 v) traduit en « Henri Bossec a écrit ici »
  • « Henri Bossec alauar mar car doe ma ambezo auantur mat ha quarzr » (Paris, Sainte-Geneviève, 36, f. 299 v) traduit en « Henri Bossec dit : si Dieu veut, j'aurai aventure belle et bonne »
La première mention est en latin. Il s'agit d'un colophon c'est-à-dire de la note finale d'un manuscrit. Elle nous apprend le nom du copiste et son origine cornouaillaise. Les deux autres mentions sont des notes marginales en moyen breton qui nous indiquent son prénom et nous confirment qu'il est autant bretonnant que latiniste. Si la traduction de la note en latin ne pose pas de difficulté à cet éminent chartiste, il n'en est pas de même pour les 2 autres en moyen breton dont il a demandé la traduction à Joseph Vendryes, titulaire de la chaire de langues et littératures celtiques à l'EPHE. Antoine Thomas précise dans sa communication que, malgré ses efforts, le lieu-dit « Tresfranc » reste à identifier.
 
C'est ce que parvient à faire Joseph Loth (1847-1934), linguiste et historien versé lui aussi dans l'étude des langues celtiques, dans le courant de la même année. Il explique, lors d'une nouvelle séance de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres le 27 octobre 1922, avoir identifié « Tresfranc » comme le village de Tréfranc dans la commune Plovan, département du Finistère. Il appuie son propos sur les remarques de ses correspondants D. Bernard, érudit de Cléden-Cap-Sizun, Henri Waquet, archiviste départemental à Quimper, allant même jusqu'à solliciter le curé et l'instituteur de Plovan (c'est-à-dire à cette époque Jean-Marie Maréchal et Jean Kernaflen). Joseph Loth profite de l'espace qui lui est offert pour apporter quelques remarques sur les toponymes en tres-, trez- et treiz-. Il complète son propos en expliquant que Tresfranc ou Treffranc est le nom d'une famille et d'une seigneurie de Plovan des XIVe et XVe siècles et que Bossec ou Bozec signifierait « celui qui a une forte paume ».
 
Joseph LOTH (1847-1934)

Par la suite, il faut attendre les années 2000 pour voir le professeur Yves Le Berre et surtout Jean-Luc Deuffic s'intéresser à nouveau à ce personnage, permettant au travers de quelques articles sur lesquels nous allons revenir de mieux le connaître.


Un petit noble plovanais ?

Le fait qu'il soit en activité dans les années 1380 ou 1390 permet d'envisager la naissance de Henri Bossec au milieu du XIVe siècle, en pleine guerre de Succession de Bretagne. Si son nom (ou surnom ?) ne nous renseigne pas sur son milieu d'origine, sa naissance à Tréfranc et la carrière qu'il mène par la suite nous autorisent à penser qu'il est de noble extraction. Ce lieu de naissance, qu'il note « Treffranc », est en effet attesté comme manoir noble en 1426 à l'occasion de la réformation des fouages (Réformation des fouages de 1426, diocèse de Cornouaille, éd. Hervé Torchet, La Perenne, Paris, 2001, p. 84). À cette date, il appartient à Havoise Treffranc et est occupé par son métayer Yvon Gourmellon. La branche aînée des Treffranc se serait fondue vers 1435 dans la famille de Coetsquiriou en Quéméneven. Une branche cadette a subsisté à Landudec (manoir de Kerandraon) et Pouldreuzic (manoir de Kerguivit).

Même en admettant que Henri appartienne à la famille des seigneurs de Tréfranc, cela n'explique pas qu'on le retrouve comme copiste à Paris quelques décennies plus tard. La solution est peut-être à chercher du côté de l’Église. Si on suit Yves Le Berre, Henri Bossec serait un moine franciscain (Yves Le Berre, « La littérature moderne en langue bretonne ou les fruits oubliés d'un amour de truchement », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 159, 2001, p. 33). Ce serait alors via cet ordre religieux qu'il aurait pu suivre des études et gagner la capitale du royaume. L'établissement franciscain le plus proche de Plovan est celui de Quimper. Aujourd'hui disparu, il occupait l'espace désormais dévolu aux halles Saint-François. Christian Dutot, auteur d'un mémoire sur Le couvent des Cordeliers de Quimper (XIIIe-XIXe siècle), n'apporte pas de renseignements sur les membres du couvent au XIVe siècle faute de sources. Il rapporte néanmoins que, tout au long du Moyen Âge, le recrutement des frères semble s'effectuer largement au sein de la noblesse cornouaillaise. Ce pourrait donc être le cas de Henri. Mais l'affirmation d'Yves Le Berre n'est que pure supposition et il n'apporte aucune justification à son assertion. Il n'en demeure pas moins que, s'il est bien cordelier – ce qui reste à prouver – il est probable que Henri Bossec soit passé par le couvent de Quimper avant de partir pour Paris.

Une autre hypothèse est envisagée par l'historien Jean-Luc Deuffic. Écartant le point de vue d'Yves Le Berre faisant de notre copiste un franciscain, il n'exclut pas que Henri Bossec soit un laïc ou un simple clerc et qu'il ait suivi dans ses jeunes années l'enseignement d'un maître dans une école de campagne, à Plovan ou dans les alentours. Bien qu'on soit mal renseigné sur ces « petites écoles » rurales, elles semblent relativement nombreuses à cette époque du Moyen Âge. Il aurait pu par la suite intégrer une université, par exemple celle de Paris. En cette seconde moitié du XIVe siècle, il existe dans la cité royale plusieurs établissements universitaires destinés à héberger les étudiants bretons : le collège du Plessis (fondé en 1323), le collège de Tréguier (fondé en 1325 par Guillaume de Coetmohan), le collège de Léon (fondé vers 1325 par Eonnet de Kaerembert) et le collège de Cornouaille (fondé en 1317 par Galeran Nicolas). Peut-être notre futur copiste plovanais est-il passé par ce-dernier afin de suivre des études universitaires à la Sorbonne. Sachant que l'homme maîtrise parfaitement l'écriture et le latin à usage théologique, ce parcours hypothétique ne semble pas illogique. Faisant souche dans le milieu intellectuel parisien, il trouve à s'employer comme copiste dès les années 1380. C'est à partir de ce moment-là qu'on dispose de quelques certitudes sur son parcours.


Un copiste breton au travail

Dans un article d'avril 2010 publié sur son blog Le manuscrit médiéval, Jean-Luc Deuffic dresse un rapide inventaire de l’œuvre de Henri Bossec : outre les manuscrits 34, 35 et 36 conservés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, copie des Postilles de Nicolas de Lyre, il est également le copiste du manuscrit 318 de la Bibliothèque Mazarine, un exemplaire du Compendium de Pierre Auriol (Jean-Luc Deuffic, « Des armoiries et des livres : les manuscrits de Pierre Lorfèvre », blog Le manuscrit médiéval, 8 avril 2010).

Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 35 f. 281 v - 282

 
Les Postilles sur les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament sont le fruit d'un travail d'exégèse entamé par Nicolas de Lyre (v. 1270-1349) dans les années 1320-1330. Le théologien y développe des commentaires moraux sur la Bible. C'est sans doute l'appartenance de cet auteur à l'ordre de saint François qui a amené Yves Le Berre à qualifier également son copiste de franciscain.

Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 35, f. 1

Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 36, f. 24

Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 36, f. 279


Le Compendium sensus litteralis totius sacrae Scripturae (Compendium sur le sens littéral de toute l’Écriture sainte) est l'une des œuvres principales de Pierre Auriol (1280-1322), autre théologien français et franciscain, ayant fini sa vie comme archevêque d'Aix. Quelques années avant Nicolas de Lyre, il se livre lui aussi à des commentaires sur l’Écriture sainte (Benoît Patar, Dictionnaire des philosophes médiévaux, éditions Fides, Canada, 2006, p. 328-333). Ce manuscrit porte comme les Postilles un colophon indiquant l'identité du copiste : « Ex aromatibus mirre et thuris et universi pulveris pigmentarii. Henri Bosec » (Paris, Mazarine, 318, f. 137 ?). Outre le texte copié, ce document comporte comme beaucoup de ses semblables au Moyen Âge quelques dessins, sans doute de la main de Henri « Bosec ».

Bibliothèque Mazarine, ms. 318, f. 1 v

Bibliothèque Mazarine, ms. 318, f. 45 v

Bibliothèque Mazarine, ms. 318, f. 96 v

Jean-Luc Deuffic précise que Henri Bossec aurait effectué l'ensemble de ce travail pour Pierre Lorfèvre (1345- v. 1412/1416), notable originaire de Senlis, chancelier du duc Louis d'Orléans puis conseiller du roi Charles VI. Entre 1380 et 1395, notre copiste aurait ainsi travaillé avec le « maître du Policratique de Charles V », un célèbre enlumineur qui a collaboré avec plusieurs copistes bretons (Jean-Luc Deuffic, « Le ''Maître du Policratique de Charles V'' : un enlumineur breton ? », blog Le manuscrit médiéval, 8 avril 2009).
Comment travaillait-il au fait ? Plusieurs enluminures contemporaines nous montrent des copistes à l’œuvre. Celle reproduite ici nous fait voir le copiste assis devant une grande table inclinée sur laquelle repose le parchemin presque encore vierge, préalablement taillé et quadrillé. Muni d'un calame pour écrire et d'un couteau pour gratter les éventuelles erreurs, le copiste s'applique à reproduire l'ouvrage disposé devant lui, se permettant de temps en temps de placer en marge une glose ou un dessin.
Un copiste au travail, XIVe siècle

Le cas échéant, une fois son labeur achevé, il confie les parchemins à un enlumineur afin qu'il puisse y apposer des couleurs dans les espaces vides laissés à cet effet. Après avoir été reliés, les volumes peuvent alors rejoindre la bibliothèque de leur riche commanditaire.

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On ignore à ce jour le devenir du copiste Henri Bossec. S'il se confirme qu'il était bien moine mendiant, il a peut-être fini ses jours dans un couvent de la région parisienne au tournant des XIVe et XVe siècle. Il n'est pas impossible que des recherches futures nous apportent davantage de renseignements sur cet enfant méconnu de Plovan ! Son histoire permet d'ores-et-déjà de rappeler à la fois que le Moyen Âge n'est pas l'époque ténébreuse qu'on veut bien nous dépeindre souvent mais bien une période de savoir et d'art où le livre occupe une place majeure et que plusieurs Bretons (dont au moins un Plovanais) ont pris leur part dans ce mouvement.
 
Mathieu GLAZ

 
P. S. : un grand merci à Jean-Luc Deuffic pour sa relecture de ce texte et pour ses remarques fructueuses.


Sources et bibliographie

Paris, Bibliothèque Mazarine, manuscrit 318 : Compendium de Pierre Auriol.

Paris, Bibliothèque Saint-Geneviève, manuscrits 34-36 : Postilles de Nicolas de Lyre.

COUFFON René, « Le collège de Cornouaille à Paris », Bulletin de la société archéologique du Finistère, t. 67, 1940, p. 32-71.

DEUFFIC Jean-Luc, « Le ''Maître du Policratique de Charles V'' : un enlumineur breton ? », blog Le manuscrit médiéval, 8 avril 2009 [cliquez ici].

Idem, « Des armoiries et des livres : les manuscrits de Pierre Lorfèvre », blog Le manuscrit médiéval, 8 avril 2010 [cliquez ici].

DUTOT Christian, Le couvent des Cordeliers de Quimper (XIIIe-XIXe siècle), mémoire de maîtrise dirigé par Jean Kerhervé, UBO, Brest, 1988.

LE BERRE Yves, « La littérature moderne en langue bretonne ou les fruits oubliés d'un amour de truchement », Bibliothèque de l’École des chartes, t. 159, 2001, p. 29-51 [cliquez ici].

LE GOFF Jacques, Les Intellectuels au Moyen Âge, éd. Seuil, 1957.

LOTH Joseph, « Le village natal du scribe Henri Bossec : les différents sens de tre- dans les noms propres composés bretons actuels (séance du 27 octobre 1922) », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 66, n° 5, 1922, p. 409-411 [cliquez ici].
 
PATAR Benoît, Dictionnaire des philosophes médiévaux, éditions Fides, Canada, 2006, p. 328-333.

Réformation des fouages de 1426, diocèse de Cornouaille, éd. Hervé TORCHET, La Perenne, Paris, 2001.

ROUSE Richard H. et ROUSE Mary A., Manuscripts and their makers : commercial book producers in medieval Paris, 1200-1500, Londres, Harvey Miller, 2000, t. 2, p. 48.

THOMAS Antoine, « Note marginale en bas-breton sur un manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève (séance du 16 juin 1922) », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 66, n° 3, 1922, p. 208-209 [cliquez ici].

lundi 4 août 2014

Conférence de Pierre Gouletquer : un monde minéral et vivant, une brèche dans le cordon de galets

L'Association du Patrimoine de Plovan vous invite à la conférence de Pierre Gouletquer "Un monde minéral et vivant ; une brèche dans le cordon de galets de Plovan-Tréogat". Jeudi 7 août 2014 à 20h30, salle polyvalente à Plovan. Entrée gratuite.


Le 2 janvier 2014, le « mur » de galets a cédé à Plovan sous la pression des étangs de Kergalan et de Trunvel en crue. Quelques jours plus tard, l'ampleur de la brèche était telle que les visiteurs désolés disaient qu'il faudrait plusieurs années avant que celle-ci se referme... si elle se refermait jamais. Ceux qui se souvenaient de l'époque où les riverains ouvraient volontairement le cordon de galets afin de vidanger l'étang étaient plus optimistes : la brèche se colmaterait lors des grandes marées à venir.
 
Les uns et les autres se trompaient. Les premiers par ignorance de l'effet des marées sur la dynamique de la plage, les seconds parce qu'ils ne pouvaient tenir compte des violentes dépressions et des abondantes précipitations qui allaient se succéder quatre mois durant et retarder le processus qui leur était familier. Du début janvier à la mi-avril la mer et la crue allaient brasser les sédiments, se contrariant sans cesse. L'une pour qu’ils reprennent leur place de « ligne de côte », l'autre pour se frayer un passage vers la plage.
 
Dans le contexte confus du réchauffement climatique et de la menace de surélévation du niveau des mers, cet événement n'a pas seulement ébranlé un supposé « rempart » naturel qui protègerait les palues de l'océan. En fournissant un exemple local qui semblait justifier les craintes, il a mis à mal l'image de stabilité qui nous rassure lorsque l'on retrouve chaque jour un paysage inchangé. Il a ébranlé notre imaginaire en nous projetant dans l'univers instable des légendes de villes englouties et des gwerz oubliées : certains imaginaient déjà que les bateaux pourraient bientôt remonter l’estuaire jusqu’aux ruines de Languidou.
 
Les observations que nous avons pu faire n'ont rien de scientifique. 113 visites sur le terrain de début janvier à fin avril, plus de 3000 photos complétées par celles prises par les visiteurs occasionnels ainsi que quelques courtes vidéos, les notes parfois approximatives, prolongées par les observations et les réflexions des uns et des autres ont permis de se convaincre que ce patrimoine n'est pas un « mur », une « digue » ou un « rempart », mais bien le dynamisme jamais en repos de ce que l'un des visiteurs a pu qualifier de « monde minéral mais vivant ».
 
Le moment est venu de rendre compte de ces observations et d'en dresser le bilan.
 
Pierre GOULETQUER

dimanche 6 juillet 2014

Conférence de Clément Nicolas : la flèche et le chef

Comme chaque année à la mi-juillet, l'Association du patrimoine de Plovan vous invite à venir assister à sa conférence estivale. Après le Togo et les idoles vaudous l'an passé, retour à la Préhistoire. L'archéologue Clément Nicolas se propose de nous présenter, à travers un symbole du pouvoir à l'âge du Bronze ancien : les flèches, la place des chefs dans l'organisation sociale de cette lointaine période. Rendez-vous le mardi 15 juillet à 20h30 à la Salle polyvalente (entrée : 3 euros).


Ci-dessous, une présentation de la conférence de M. Nicolas :

« Ces flèches en silex sont d’une perfection de forme et d’exécution inégalées. Loin d’être des armes communes pour la chasse et la guerre, elles semblent avoir constitué des objets de prestige strictement réservés aux chefs. Comment ces armatures ont-elles été produites ? Quelles étaient leurs fonctions ? Tels sont les deux questions auxquelles nous tenterons de répondre grâce à l’étude des stigmates de la taille du silex, l’expérimentation et l’analyse des usures laissées par leur utilisation. Les contextes exceptionnels de découverte nous permettront alors de retracer les multiples vies de ces objets.

L’âge du Bronze ancien en Basse-Bretagne (2150-1650 av. notre ère) est essentiellement connu par plus d’un millier de tombes recouvertes ou non d’un tumulus. Parmi ces sépultures, certaines se distinguent par la monumentalité de leur caveau et de leur tertre et un mobilier funéraire particulièrement abondant, dont la largesse n’a guère d’équivalent en Europe occidentale. Ces tombes peuvent livrer jusqu’à une dizaine de poignards en bronze et divers objets exotiques (en ambre balte notamment), témoins de la mainmise sur une métallurgie parfaitement maîtrisée ainsi que le contrôle de réseaux d’échanges à longue distance. Sans négliger l’attrait pour le métal, une technologie nouvelle et en plein essor, les élites armoricaines semblent avoir manifesté leur pouvoir dans la possession de pointes de flèches en silex.

Au travers des flèches, nous nous interrogerons enfin sur la place des chefs dans la société de l’âge du Bronze ancien. Quelles étaient les sources de leurs pouvoirs ? Comment ceux-ci géraient-ils leurs territoires ? Les découvertes anciennes et récentes nous suggèrent l’existence d’une société complexe, parfaitement organisée et dont la monumentalité funéraire n’est que la partie émergée d’une occupation particulièrement dense des territoires, eux-mêmes inscrits dans la géographie historique de la Basse-Bretagne.

Clément NICOLAS
Post-doctorant, UMR 8215 Trajectoires »

samedi 7 juin 2014

Le train carottes à travers Tréogat, Plovan et Pouldreuzic

« La ligne jouait à saute-moutons entre vallons et éminences, se perdait dans la touffeur du bocage avant, sur les hauteurs, de dominer le grand arc de cercle de la baie d'Audierne, alternait les plongées dans la verdure et les lumineuses échappées sur la mer... ». Serge Duigou, dans son ouvrage Quand s'essoufflait le train carottes aux éditions Ressac, nous donne envie de le connaître ce petit train pourtant mal né et trop vite disparu. Contestée par les uns puis par les autres, de modifications de parcours en modifications, souvent sous la pression des plus influents, la ligne était ouverte le 1er octobre 1912.

Reliant Pont-l'Abbé à Audierne en passant par Pont-Croix, son rôle principal était de transporter les récoltes de légumes vers les conserveries, d'où les noms de train carottes ou patates. Le parcours de 35 kilomètres entre Pont-l'Abbé et Pont-Croix était couvert en 114 minutes à la moyenne de 18 km/h. Ce train nous apparaît avec le recul mal conçu, mal né, à un mauvais moment (deux ans avant la guerre) et trop vite concurrencé par l'automobile.

Carte de 1924


Pourtant, en ne transportant des voyageurs que durant vingt deux ans, ce gentil tortillard a laissé son image dans l'esprit de tous. Pourquoi ce souvenir gentiment affectueux ? Serge Duigou dans son ouvrage, répond à cette question : « Le pittoresque était au rendez-vous, pimenté de surcroît d'un brun de suspense. Chaque rampe un peu abrupte prenait des allures de défit, d'épreuve à surmonter? Arrivera, arrivera-ty-pas ? Un train qui alliait l'émotion de l'inconnu à la beauté du paysage, on comprend qu'il ait marqué les esprits ».
Il rappelle aussi ce que Pierre Jakez Hélias a écrit à ce propos dans Le cheval d'orgueil : « Le train coupe les routes et les chemins sans autre forme de procès. Il brinquebale à la lisière des champs. Au bas de la levée qui porte le chemin de fer, il y a toujours quelque petit vacher à plat ventre qui ouvre la bouche sur neuf heures, quelques fillettes aux bras chargés de digitales qui rougissent de confusion. Le cheval noir siffle pour leur faire plaisir autant que pour avertir je ne sais qui de je ne sais quoi... ».
Autre témoignage, celui de Monsieur Le Corre de Pouldreuzic cité dans l'ouvrage de Serge Duigou : « Le train c'était pour nous un spectacle [...] Le train faisait partie de notre vie, quand bien même on ne le prenait jamais. Les gens réglaient leur montre sur son passage ; s'il avait dix minutes de retard, tout le canton prenait du retard... ».
Les contemporains du train, même s'ils ne l'avaient pas utilisé se souviennent d'anecdotes relatives à son sifflet, ses problèmes avec les côtes, anecdotes qu'on leur avait raconté.  


De Tréogat à Pouldreuzic en 1920

L'Association du Patrimoine de Plovan est partie sur les traces du train carottes de Tréogat à Pouldreuzic, retrouvant, perdues dans la végétation, des ouvrages surprenants, très bien conservés. 


Le train venant de Plonéour traverse la route et descend vers Tréogat () en longeant la voie routière pour franchir le ruisseau coulant vers l'étang de Trunvel sur un pont commun ().

(1) Descente vers Tréogat


(2) Pont GC2

Après être passé devant Lesvagnol, il oblique en direction de la gare de Tréogat. Il longe l'école actuelle, coupe la route menant à Plovan pour s’arrêter à la station ().

(3) Gare de Tréogat


Sortant du bourg, il arrive sur la commune de Peumerit en frôlant Kergoulou. Suivant la longue levée haute de plusieurs mètres, indispensable sur cette zone marécageuse et inondable (en 1936, le maire de Plovan expose au conseil municipal avoir reçu plusieurs réclamations et plaintes de riverains qui se trouvaient sérieusement menacés par l'eau de l'étang de Kergalan qui avait envahi toute la vallée entre Plovan et Tréogat, jusqu'au village de Pont-Dévet distant de l'étang de 6 km environ), le voici sur le territoire de Plovan à hauteur du moulin de Pontalan. Il franchit le cours d'eau qui dévale vers l'étang de Kergalan sur un petit pont ().

(4) Le pont de Plovan


Ce pont est un ouvrage surprenant, aujourd'hui envahi par la végétation, mais remarquablement bien conservé. Félix Droval nous expliquait que « les ouvriers chargés de la construction de la voie avaient rencontré beaucoup de difficultés à cet endroit. Ils avaient creusé jusqu'à 4 mètres de profondeur pour assurer les fondations, découvrant là des galets marins » (entretien d'anciens élèves de l'école de Plovan).
Laissant à sa gauche Kerscaven, il s'annonce bruyamment en arrivant devant la halte de Pont-Devet () dont il repart vers Pouldreuzic en coupant la seconde route qui conduit à Plovan.

(5) Halte de Pont-Devet à Plovan


Il ralentit avant de passer la voie qui conduit à Penhors et pénètre dans le bourg, pour s'arrêter devant la gare à la hauteur de l'usine Hénaff. L'arrêt est important car le chauffeur, le mécanicien et le chef de train font le plein de la machine en eau et charbon, puis le leur au bistrot de la gare.

(6) Station de Pouldreuzic


Après cet intermède, le train carottes repart vers Plozévet sur un parcours accidenté, passe sur le pont à côté de Trégonéter () saluant au passage le Lapin Bleu et s'éloigne en direction d'Audierne.

(7) Pont de Trégonéter



Plovan et le train carottes


Les archives municipales ont apporté des renseignements sur les relations entre la Compagnie des Chemins de fer départementaux du Finistère et la municipalité de Plovan. 
Le 1er octobre 1912, Jean Marzin note « passage du train le 1er octobre : vitesse 18 km/h ». Le train circule, mais pour les voyageurs de Plovan, la situation n'est pas idéale en cette fin d'année 1912. Imaginons un candidat au voyage désireux de tenter l'aventure. Il se rend à Pont Devet, lieu situé en plein bois où il doit guetter le passage du convoi debout au bord de la voie, puisqu'il n'y a pas d'abri, et cela par tous les temps.

L'emplacement de la voie ferrée à Pont-Devet



Il ne doit pas, bien sur, oublier de faire signe au conducteur, l'arrêt étant facultatif.



La municipalité s'inquiète de cette situation et, le 1er octobre 1912, délibère : « Sur la proposition de Mr Le Maire, le conseil considérant la somme relativement élevée votée pour la construction d'une halte-abri à la gare de Plovan, sollicite le cas échéant et une fois les travaux terminés, le retour à la commune de l’excédent qui pourrait se produire. En outre, considérant la difficulté pour les voyageurs illettrés ne comprenant que la langue bretonne d'avertir le chef de train de faire arrêter à la station dudit lieu ; considérant qu'un oubli est possible à tout le monde et que, par suite, dans la nuit, on est transporté soit à Tréogat, soit à Pouldreuzic, selon la direction du train, émet le vœu que l'arrêt facultatif devienne réel et obligatoire ».

En février 1914, nouvelle intervention : « Mr Le Président [du conseil municipal] fait observer que la halte-abri à la gare de Plovan, sollicitée par la population et dont les fonds ont été entièrement votés par le conseil, tarde à faire preuve de son existence. Le conseil ne comprenant pas une pareille négligence émet le vœu que Mr Le Préfet fasse faire les démarches nécessaires auprès de la compagnie pour hâter les travaux dudit bâtiment tant attendu. »

Enfin, en janvier 1915, Plovan peut disposer de sa halte-abri :



Autre gros problème : les horaires. Aucune proposition ne convient : à la session de février 1916, « l'attention du conseil a été appelée sur le changement apporté à l'horaire des trains se dirigeant de Quimper sur Pont-L'Abbé et rendant à peu près impossible le retour de Quimper par le train pour la commune et pour les autres communes desservies par la ligne de Pont-l'Abbé à Audierne... Attendu que cet état de choses crée des difficultés pour les déplacements et les voyages, surtout à ce moment où les moyens de locomotion sont plutôt rares et où les personnes de la campagne, ayant peu de chevaux... ont intérêt à se servir des lignes ferrées... Et sollicite le rétablissement du train de 21h30 pour faciliter l'arrivée des permissionnaires dans leur famille. ».

En février 1918, le conseiller Corentin Goanec attire l'attention en signalant la défectuosité que présente la voie ferrée à deux endroits : « M. Goanec signale la défectuosité que présente la voie ferrée aux deux endroits où elle coupe la route Plovan-Tréogat : près de la gare de Tréogat et près de celle de Plovan. Le conseil décide qu'une demande sera adressée à Mr Le Préfet pour le prier de faire près la Compagnie les démarches nécessaires pour que la commune obtienne satisfaction. ».
Après 1918 les relations entre la municipalité de Plovan et le train carottes semblent aussi distantes que la halte l'est par rapport au bourg de la commune. De plus, les difficultés pour obtenir cet arrêt obligatoire ajoutées aux problèmes d'horaires, peuvent expliquer l'absence d'intérêt dans les délibérations municipales après cette date.

Au mois d'août 1931 le conseil refuse l'augmentation des tarifs : « Monsieur le Maire soumet au conseil le dossier présenté par la compagnie de chemins de fer tendant aux relevences des tarifs de transports ; après un vote secret et à la majorité, le conseil donne avis défavorable, considérant que le prix qui est actuellement en vigueur est assez élevé. ». Fin 1934, le service voyageur est supprimé : le train carottes ne sifflera plus !

Le train carottes


Le 29 septembre 1942, la municipalité achète la portion plovanaise de la voie ferrée : « Monsieur le maire donne lecture au conseil de la lettre de Mr Le Préfet du Finistère en date du 12 août 1942 concernant la vente de la voie ferrée d'intérêt local de Pont-l'Abbé à Pont-Croix (la voie, le ballast et les bâtiments).
Considérant que la plate-forme de la voie peut être utilisée et que le ballast est nécessaire pour l'entretien des chemins de la commune
Décide d'acquérir aux conditions fixées par la lettre préfectorale le ballast et la voie située sur l'étendue de la commune, d'une longueur de 1615 mètres et sous réserve du prix fixé par les Ponts et chaussées, la halte et son terrain d'accès
Prends l'engagement d'affecter à un service public les terrassements à acquérir dont il s'interdit la revente. »

En 1943, aliénation... : « Mr Le Maire expose au conseil que le bureau départemental a décidé l'aliénation au profit de la commune de la station de Plovan et ses dépendances provenant de la ligne déclassée des chemins de fer départementaux de Pont-L'Abbé à Pont-croix au prix fixé par Mrs les Ingénieurs du service des Ponts et Chaussées soit 4500 francs ».

Tracé du train selon les relevés cadastraux et la carte IGN de 2000

Est-ce l'éloignement de la halte de Pont Devet, l'indifférence des habitants pour ce moyen de transport ? Toujours est-il que nous ne retrouvons pas d'intérêts passionnés de la part de la municipalité de Plovan pour le train carottes. Serge Duigou conclut dans son Histoire du Pays bigouden en expliquant que « la route va vaincre le rail, avec une sidérante rapidité. Des investissements lourds, des aménagements considérables pour un règne bien éphémère... ».


René LOZACH