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mardi 3 février 2015

De Plovan à la Mayenne : la "success story" des Drézen

De nombreuses communes bigoudènes peuvent s'enorgueillir de leurs dynasties d'entrepreneurs : les Hénaff à Pouldreuzic, les Larzul à Plonéour-Lanvern, qui ont célébré au cours des dernières années leur siècle d'existence, les Furic au Guilvinec... Commune résolument tournée vers l'agriculture, Plovan n'a pas connu pareille aventure économique sur son sol bien qu'il ait vu naître, en 1872, Sébastien Raphalen, fondateur de l'usine du même nom, active à Plonéour-Lanvern entre 1926 et 1990. Un autre enfant de Plovan, moins connu, a lui aussi réussi à développer une activité industrielle remarquable : Pierre-Marie Drézen, dont nous vous proposons de découvrir ici le parcours.

I – Une enfance plovanaise


Alphonse Maudet Pierre Marie Drézen, que tout le monde appelait Pierre-Marie, est né le 14 juillet 1909 à Kergoë en Plovan. Il est le fils de Maudet Drézen, 42 ans, et de Marie-Corentine Hascoët, 35 ans, couple de cultivateurs originaire de Tréogat arrivé à Plovan entre 1901 et 1906. La famille s'est installée dans une petite ferme à Kergoë (ou Prat Kergoë), à l'ouest du bourg sur le chemin de la mer. Outre les parents, elle comprend déjà 3 filles : Maria, Marie-Jeanne et Catherine, alors âgées de 13, 10 et 9 ans, nées à Tréogat et à Saint-Jean-Trolimon.

Maudet Drézen (2 mars 1867, Tréogat – 3 novembre 1950, Plovan) et Marie Corentine Hascoët (4 janvier 1875, Tréogat – 26 novembre 1929, Plovan), mariés en 1894, parents de :
  • Maria Drézen (30 août 1895, Tréogat – 15 janvier 1976, Pouldreuzic), mariée à Jean-Marie Kerouédan en 1919 à Plovan.
  • Marie Jeanne Drézen (1er octobre 1898, Plogastel-Saint-Germain – ?), mariée à Jérôme Le Pape en 1923 à Plovan.
  • Catherine Drézen (2 octobre 1900, Saint-Jean-Trolimon – 23 août 1915, Plovan).
  • Pierre-Marie Drézen (14 juillet 1909, Plovan – 3 janvier 1983, Angers), marié à Léontine Loussouarn en 1934 à Plovan.

Cette partie de la commune, beaucoup moins bâtie qu'elle ne l'est de nos jours, n'en est pas forcément moins peuplée ni dynamique. Dans le recensement de 1906, le quartier que les Plovanais appellent depuis longtemps déjà la Cannebière, c'est-à-dire la terre où on cultive du chanvre (cannabis en latin), compte huit foyers : des cultivateurs avec les ménages Corre, Boennec, Goyat, Pape, Le Pape et Kerallan, des menuisiers avec la famille Raphalen et des forgerons avec la famille Faou. Le même document indique plusieurs familles de cultivateurs à Prat Boloc'h (Goanec et Lautridou), à Ru-Vein (Lappart et Madec) et à Crémuny (Thomas, Guichaoua et Keravec). C'est dans ce milieu que grandit Pierre-Marie Drézen.
Non loin de là, l'étang de Kergalan offre un cadre de jeux apprécié des enfants des alentours, pour la pêche comme pour les baignades. Mais le 23 août 1915, le jeu se mue en drame lorsque le petit André Tanguy, 7 ans, de Crémuni, décide de se baigner dans un lavoir à proximité de l'étang. Quelques instants plus tard, une des sœurs aînées de Pierre-Marie, Catherine Drézen, 14 ans, occupée à étendre du linge sur les galets pour le faire sécher, entend des cris poussés par le petit garçon. Se précipitant à son secours, elle tombe à son tour dans l'eau et périt noyée. Malgré leurs efforts, les adultes accourus sur place à la nouvelle de cette double noyade (le garde de l'étang Noël Boissel, le cultivateur Corentin Raphalen, les institutrices Pauline Jouin et Gabrielle Guennec, le douanier Dumonstier) ne parviennent pas à les réanimer. L'histoire est rapportée en différentes versions dans les journaux de l'époque et dans le recueil de souvenirs de Georges Goraguer. Selon l'une d'elle, Pierre-Marie Drézen, âgé seulement de 6 ans, aurait assisté à toute la scène et serait allé prévenir ses parents qui seraient arrivés malheureusement trop tard pour sauver les deux enfants.

II – Un parcours novateur

Quelques semaines plus tard, le jeune Pierre-Marie fait sans doute sa première rentrée à l'école publique des garçons de Plovan. Il la fréquente vraisemblablement entre 1915 et 1922, peut-être au-delà (les registres d'appels prouvent au moins sa présence entre 1916 et 1919). Au cours de ces années, l'école publique est successivement dirigée par Jean Goraguer (jusqu'en 1917), Joseph Douguet (entre 1918 et 1921) et Jean Kernaflen (entre 1921 et 1924). Faisant preuve d'excellentes aptitudes, on imagine qu'il est repéré par ses instituteurs qui l'engagent à poursuivre ses études.
Le hasard fait que, lorsqu'il achève ses études primaires, une toute nouvelle école est sur le point d'ouvrir ses portes aux fils de paysans : l'école d'agriculture de Bréhoulou, à Fouesnant. Elle est née d'un legs d'une valeur estimée à 650 000 francs, somme considérable à cette époque, décidé en 1917 par Alfred Buzaré (1843-1919), riche propriétaire fouesnantais en faveur du conseil général du Finistère. Le donataire consent à ce geste à l'unique condition que le conseil général fasse édifier une « ferme-école d'agriculture » à Bréhoulou, domaine compris dans le legs. Les travaux commencent en 1923, une fois réglés les problèmes juridiques nés de la contestation du frère cadet du légataire, peu enclin à se voir privé de ce qu'il considère être son héritage. L'école de Bréhoulou accueille ses premiers élèves fin 1924. Certainement soutenu par ses parents et ses instituteurs, Pierre-Marie Drézen fait partie des tous premiers élèves à entrer dans le nouvel établissement scolaire, à une époque où la formation professionnelle reste rarissime dans les familles paysannes. Le conseil municipal de Plovan lui manifeste ses encouragements en votant à son attention deux subventions de quelques centaines de francs en novembre 1925 et en juin 1926. Le jeune Drézen obtient son examen de sortie en août 1926, à 17 ans, neuvième d'une promotion de 17 élèves.
Devenu fromager, Pierre-Marie Drézen, toujours domicilié chez son père, fréquente puis épouse une jeune plovanaise de trois ans sa cadette, habitant à Kergurun, une ferme proche de Prat Kergoë. Le 21 janvier 1934, Léontine Yvonne Marie Loussouarn et Alphonse Maudet Pierre Marie Drézen se marient à la mairie de Plovan. La noce a lieu chez Goanec au bourg, comme l'atteste la photo ci-dessous.

Photographie de mariage de Pierre-Marie Drézen et de Léontine Loussouarn, en 1934


Léontine Loussouarn, sa jeune épouse, est née le 29 septembre 1912 à Kergurun, une des grandes fermes que compte alors Plovan. Elle lui apporte une dot de 35 000 francs. Pour ses noces, elle porte le costume de mariée conçu en 1931 pour sa belle-sœur, Marie-Jeanne Le Bec (en haut à gauche de la photographie, devant son mari Pierre Loussouarn « fils »), composé d'un gilet de velours noir brodé de motifs floraux et d'un tablier blanc lui aussi brodé. Derrière elle, on voit ses parents : Pierre Loussouarn, 61 ans, la main droite glissé dans sa veste, et Marie-Anne Le Brun, petite femme de 56 ans, dont la coiffure et le costume sobres contrastent avec ceux des autres invitées.
 
 
 
III – L'implantation en Mayenne

L'établissement dont il prend la tête a déjà deux décennies d'existence : il a été fondé en 1912 par Albert Le Masne de Brons (1848-1930), industriel du fromage établi à Nantes, qui a acheté le « château » du Bois Belleray sur la commune de Martigné-sur-Mayenne pour y fonder une fromagerie. En 1931, un an après la mort du fondateur, l'entreprise est vendue à « Deswarte et Cie » puis, en 1933, à René Duchemin de Vaubernier (1868-1955), entrepreneur originaire de Laval, qui a laissé son nom à l'entreprise. C'est ce-dernier qui fait appel à Pierre-Marie Drézen.
D'employé, celui-ci passe bientôt à associé puis, au fil du temps, devient propriétaire majoritaire de l'entreprise. En 1937, la fromagerie devient une société anonyme (SA). Elle change encore de statut en 1957 pour devenir la SAS Vaubernier. Jean Drézen (né en 1934) succède à son père et poursuit le développement de l'entreprise. Conservant la présidence du directoire de la société, il cède la direction de la PME à sa femme Claire qui l'a elle-même depuis laissée à leur fille Catherine (née en 1971). Troisième génération de Drézen à la tête de la fromagerie, elle dirige toujours l'entreprise actuellement.

C. Drézen posant à côté d'une ancienne baratte en 2012 lors du centenaire de la fromagerie


Avec ses 112 salariés et ses 47 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2013, la société « Vaubernier – Fromagerie du Bois Belleray » est une très belle réussite. Travaillant en relation étroite avec environ 300 exploitations laitières des alentours, l'entreprise collecte 90 millions de litres de lait annuellement avec lesquels elle fabrique 20 millions de produits (camemberts, bries, coulommiers, beurre...).

Vue aérienne de la fromagerie Vaubernier, à Martigné-sur-Mayenne



La qualité de ces-derniers et une stratégie commerciale efficace ont permis une diffusion beaucoup plus large au cours des dernières années. Un million de camemberts sont vendus chaque mois ! On peut désormais acheter le camembert « Bons Mayennais », le produit-phare de la fromagerie, dans de nombreuses grandes surfaces du Nord et de l'Ouest de la France.


Camembert "Bons Mayennais", le produit le plus fameux de la fromagerie Vaubernier



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Pierre-Marie et Léontine Drézen, le couple à l'origine de cette histoire, sont restés fidèles à leurs origines plovanaises et ont conservé malgré la distance des liens forts avec leur famille restée au pays. Disparus respectivement en 1983 et 2012, ils ont su transmettre cet attachement à leurs descendants qui, huit décennies plus tard, continuent à garder des attaches à Plovan !


Mathieu GLAZ



Pierre-Marie Drézen et Léontine Loussouarn en mariés, en 1934


Sources et webographie


Archives de la famille Loussouarn de Kergurun.


Archives municipales de Plovan (registre des délibérations 1925-1935).



Archives de la classe-patrimoine de Plovan (registres d'appels 1916 à 1919).



QUARTIER Thibault, « La si discrète patronne d'un camembert centenaire... », Ouest-France du 18 avril 2012.

dimanche 5 octobre 2014

Conférence de Maurice Lucas : la vie politique dans le Pays bigouden sous la IIIe République

L'Association du Patrimoine vous propose d'assister, comme l'an passé avec la projection du film de René Caron sur les prisonniers de la Deuxième Guerre mondiale, à une conférence de Maurice Lucas sur la vie politique à Plovan et plus largement dans le Pays bigouden au début de la IIIe République (1870-1914). Elle aura lieu dimanche 26 octobre 2014, à 16 h., salle polyvalente de Plovan.
 
Affiche de la conférence de Maurice Lucas
 
Maurice LUCAS est un professeur d'histoire et un historien spécialiste de la vie politique sous la IIIe République (1870-1940). Auteur d'un mémoire de maîtrise en 1975 sur les Luttes politiques et sociales à Douarnenez, 1890-1925, il poursuit ses recherches en doctorat, élargissant son champ d'investigations initial à l'ensemble du sud-ouest du département. Sa thèse, intitulée L'évolution politique de la Cornouaille Maritime sous la IIIe République, est soutenue à Brest en 1982. Aujourd'hui chercheur associé au CRBC, il est l'auteur de plusieurs ouvrages et articles où il s'est entre autre penché sur la personnalité de Georges Le Bail, maire de Plozévet et parlementaire finistérien incontournable de cette période pour les Bigoudens. Signalons son dernier ouvrage : Les socialistes dans le Finistère (1905-2005) paru en 2005 à l'occasion du centenaire du Parti socialiste.
 
Maurice Lucas, notre conférencier
 
La conférence qu'il nous propose portera sur la vie politique dans le Pays bigouden, notamment à Plovan, au début de la IIIe République (1870-1914) : « Le Pays bigouden n'est pas un isolat à l'écart des grands mouvements politiques qui traversent le pays entre 1870 et 1914. La construction et l'établissement de la République y rencontrent des soutiens et des oppositions passionnés qui s'incarnent dans des personnages emblématiques dans lesquels se reconnaissent les fidélités et les répulsions qui s'expriment au moment essentiel et privilégié des élections ».

samedi 7 juin 2014

Le train carottes à travers Tréogat, Plovan et Pouldreuzic

« La ligne jouait à saute-moutons entre vallons et éminences, se perdait dans la touffeur du bocage avant, sur les hauteurs, de dominer le grand arc de cercle de la baie d'Audierne, alternait les plongées dans la verdure et les lumineuses échappées sur la mer... ». Serge Duigou, dans son ouvrage Quand s'essoufflait le train carottes aux éditions Ressac, nous donne envie de le connaître ce petit train pourtant mal né et trop vite disparu. Contestée par les uns puis par les autres, de modifications de parcours en modifications, souvent sous la pression des plus influents, la ligne était ouverte le 1er octobre 1912.

Reliant Pont-l'Abbé à Audierne en passant par Pont-Croix, son rôle principal était de transporter les récoltes de légumes vers les conserveries, d'où les noms de train carottes ou patates. Le parcours de 35 kilomètres entre Pont-l'Abbé et Pont-Croix était couvert en 114 minutes à la moyenne de 18 km/h. Ce train nous apparaît avec le recul mal conçu, mal né, à un mauvais moment (deux ans avant la guerre) et trop vite concurrencé par l'automobile.

Carte de 1924


Pourtant, en ne transportant des voyageurs que durant vingt deux ans, ce gentil tortillard a laissé son image dans l'esprit de tous. Pourquoi ce souvenir gentiment affectueux ? Serge Duigou dans son ouvrage, répond à cette question : « Le pittoresque était au rendez-vous, pimenté de surcroît d'un brun de suspense. Chaque rampe un peu abrupte prenait des allures de défit, d'épreuve à surmonter? Arrivera, arrivera-ty-pas ? Un train qui alliait l'émotion de l'inconnu à la beauté du paysage, on comprend qu'il ait marqué les esprits ».
Il rappelle aussi ce que Pierre Jakez Hélias a écrit à ce propos dans Le cheval d'orgueil : « Le train coupe les routes et les chemins sans autre forme de procès. Il brinquebale à la lisière des champs. Au bas de la levée qui porte le chemin de fer, il y a toujours quelque petit vacher à plat ventre qui ouvre la bouche sur neuf heures, quelques fillettes aux bras chargés de digitales qui rougissent de confusion. Le cheval noir siffle pour leur faire plaisir autant que pour avertir je ne sais qui de je ne sais quoi... ».
Autre témoignage, celui de Monsieur Le Corre de Pouldreuzic cité dans l'ouvrage de Serge Duigou : « Le train c'était pour nous un spectacle [...] Le train faisait partie de notre vie, quand bien même on ne le prenait jamais. Les gens réglaient leur montre sur son passage ; s'il avait dix minutes de retard, tout le canton prenait du retard... ».
Les contemporains du train, même s'ils ne l'avaient pas utilisé se souviennent d'anecdotes relatives à son sifflet, ses problèmes avec les côtes, anecdotes qu'on leur avait raconté.  


De Tréogat à Pouldreuzic en 1920

L'Association du Patrimoine de Plovan est partie sur les traces du train carottes de Tréogat à Pouldreuzic, retrouvant, perdues dans la végétation, des ouvrages surprenants, très bien conservés. 


Le train venant de Plonéour traverse la route et descend vers Tréogat () en longeant la voie routière pour franchir le ruisseau coulant vers l'étang de Trunvel sur un pont commun ().

(1) Descente vers Tréogat


(2) Pont GC2

Après être passé devant Lesvagnol, il oblique en direction de la gare de Tréogat. Il longe l'école actuelle, coupe la route menant à Plovan pour s’arrêter à la station ().

(3) Gare de Tréogat


Sortant du bourg, il arrive sur la commune de Peumerit en frôlant Kergoulou. Suivant la longue levée haute de plusieurs mètres, indispensable sur cette zone marécageuse et inondable (en 1936, le maire de Plovan expose au conseil municipal avoir reçu plusieurs réclamations et plaintes de riverains qui se trouvaient sérieusement menacés par l'eau de l'étang de Kergalan qui avait envahi toute la vallée entre Plovan et Tréogat, jusqu'au village de Pont-Dévet distant de l'étang de 6 km environ), le voici sur le territoire de Plovan à hauteur du moulin de Pontalan. Il franchit le cours d'eau qui dévale vers l'étang de Kergalan sur un petit pont ().

(4) Le pont de Plovan


Ce pont est un ouvrage surprenant, aujourd'hui envahi par la végétation, mais remarquablement bien conservé. Félix Droval nous expliquait que « les ouvriers chargés de la construction de la voie avaient rencontré beaucoup de difficultés à cet endroit. Ils avaient creusé jusqu'à 4 mètres de profondeur pour assurer les fondations, découvrant là des galets marins » (entretien d'anciens élèves de l'école de Plovan).
Laissant à sa gauche Kerscaven, il s'annonce bruyamment en arrivant devant la halte de Pont-Devet () dont il repart vers Pouldreuzic en coupant la seconde route qui conduit à Plovan.

(5) Halte de Pont-Devet à Plovan


Il ralentit avant de passer la voie qui conduit à Penhors et pénètre dans le bourg, pour s'arrêter devant la gare à la hauteur de l'usine Hénaff. L'arrêt est important car le chauffeur, le mécanicien et le chef de train font le plein de la machine en eau et charbon, puis le leur au bistrot de la gare.

(6) Station de Pouldreuzic


Après cet intermède, le train carottes repart vers Plozévet sur un parcours accidenté, passe sur le pont à côté de Trégonéter () saluant au passage le Lapin Bleu et s'éloigne en direction d'Audierne.

(7) Pont de Trégonéter



Plovan et le train carottes


Les archives municipales ont apporté des renseignements sur les relations entre la Compagnie des Chemins de fer départementaux du Finistère et la municipalité de Plovan. 
Le 1er octobre 1912, Jean Marzin note « passage du train le 1er octobre : vitesse 18 km/h ». Le train circule, mais pour les voyageurs de Plovan, la situation n'est pas idéale en cette fin d'année 1912. Imaginons un candidat au voyage désireux de tenter l'aventure. Il se rend à Pont Devet, lieu situé en plein bois où il doit guetter le passage du convoi debout au bord de la voie, puisqu'il n'y a pas d'abri, et cela par tous les temps.

L'emplacement de la voie ferrée à Pont-Devet



Il ne doit pas, bien sur, oublier de faire signe au conducteur, l'arrêt étant facultatif.



La municipalité s'inquiète de cette situation et, le 1er octobre 1912, délibère : « Sur la proposition de Mr Le Maire, le conseil considérant la somme relativement élevée votée pour la construction d'une halte-abri à la gare de Plovan, sollicite le cas échéant et une fois les travaux terminés, le retour à la commune de l’excédent qui pourrait se produire. En outre, considérant la difficulté pour les voyageurs illettrés ne comprenant que la langue bretonne d'avertir le chef de train de faire arrêter à la station dudit lieu ; considérant qu'un oubli est possible à tout le monde et que, par suite, dans la nuit, on est transporté soit à Tréogat, soit à Pouldreuzic, selon la direction du train, émet le vœu que l'arrêt facultatif devienne réel et obligatoire ».

En février 1914, nouvelle intervention : « Mr Le Président [du conseil municipal] fait observer que la halte-abri à la gare de Plovan, sollicitée par la population et dont les fonds ont été entièrement votés par le conseil, tarde à faire preuve de son existence. Le conseil ne comprenant pas une pareille négligence émet le vœu que Mr Le Préfet fasse faire les démarches nécessaires auprès de la compagnie pour hâter les travaux dudit bâtiment tant attendu. »

Enfin, en janvier 1915, Plovan peut disposer de sa halte-abri :



Autre gros problème : les horaires. Aucune proposition ne convient : à la session de février 1916, « l'attention du conseil a été appelée sur le changement apporté à l'horaire des trains se dirigeant de Quimper sur Pont-L'Abbé et rendant à peu près impossible le retour de Quimper par le train pour la commune et pour les autres communes desservies par la ligne de Pont-l'Abbé à Audierne... Attendu que cet état de choses crée des difficultés pour les déplacements et les voyages, surtout à ce moment où les moyens de locomotion sont plutôt rares et où les personnes de la campagne, ayant peu de chevaux... ont intérêt à se servir des lignes ferrées... Et sollicite le rétablissement du train de 21h30 pour faciliter l'arrivée des permissionnaires dans leur famille. ».

En février 1918, le conseiller Corentin Goanec attire l'attention en signalant la défectuosité que présente la voie ferrée à deux endroits : « M. Goanec signale la défectuosité que présente la voie ferrée aux deux endroits où elle coupe la route Plovan-Tréogat : près de la gare de Tréogat et près de celle de Plovan. Le conseil décide qu'une demande sera adressée à Mr Le Préfet pour le prier de faire près la Compagnie les démarches nécessaires pour que la commune obtienne satisfaction. ».
Après 1918 les relations entre la municipalité de Plovan et le train carottes semblent aussi distantes que la halte l'est par rapport au bourg de la commune. De plus, les difficultés pour obtenir cet arrêt obligatoire ajoutées aux problèmes d'horaires, peuvent expliquer l'absence d'intérêt dans les délibérations municipales après cette date.

Au mois d'août 1931 le conseil refuse l'augmentation des tarifs : « Monsieur le Maire soumet au conseil le dossier présenté par la compagnie de chemins de fer tendant aux relevences des tarifs de transports ; après un vote secret et à la majorité, le conseil donne avis défavorable, considérant que le prix qui est actuellement en vigueur est assez élevé. ». Fin 1934, le service voyageur est supprimé : le train carottes ne sifflera plus !

Le train carottes


Le 29 septembre 1942, la municipalité achète la portion plovanaise de la voie ferrée : « Monsieur le maire donne lecture au conseil de la lettre de Mr Le Préfet du Finistère en date du 12 août 1942 concernant la vente de la voie ferrée d'intérêt local de Pont-l'Abbé à Pont-Croix (la voie, le ballast et les bâtiments).
Considérant que la plate-forme de la voie peut être utilisée et que le ballast est nécessaire pour l'entretien des chemins de la commune
Décide d'acquérir aux conditions fixées par la lettre préfectorale le ballast et la voie située sur l'étendue de la commune, d'une longueur de 1615 mètres et sous réserve du prix fixé par les Ponts et chaussées, la halte et son terrain d'accès
Prends l'engagement d'affecter à un service public les terrassements à acquérir dont il s'interdit la revente. »

En 1943, aliénation... : « Mr Le Maire expose au conseil que le bureau départemental a décidé l'aliénation au profit de la commune de la station de Plovan et ses dépendances provenant de la ligne déclassée des chemins de fer départementaux de Pont-L'Abbé à Pont-croix au prix fixé par Mrs les Ingénieurs du service des Ponts et Chaussées soit 4500 francs ».

Tracé du train selon les relevés cadastraux et la carte IGN de 2000

Est-ce l'éloignement de la halte de Pont Devet, l'indifférence des habitants pour ce moyen de transport ? Toujours est-il que nous ne retrouvons pas d'intérêts passionnés de la part de la municipalité de Plovan pour le train carottes. Serge Duigou conclut dans son Histoire du Pays bigouden en expliquant que « la route va vaincre le rail, avec une sidérante rapidité. Des investissements lourds, des aménagements considérables pour un règne bien éphémère... ».


René LOZACH

vendredi 2 mai 2014

Désirée Le Bœuf, la première institutrice de Plovan

L'année 1890 voit l'inauguration à Plovan du premier groupe scolaire de la commune, un ensemble de bâtiments abritant l'école des garçons et la toute nouvelle école des filles. Après d'âpres débats, les lois Ferry de 1881-1882 sont enfin appliquées. L'école publique des filles est confiée aux soins d'une jeune enseignante de 23 ans, Françoise Désirée Le Bœuf, dont le parcours mérite qu'on s'y arrête.

L'année scolaire 2013-2014 a été décrétée année de mobilisation pour l'égalité à l'école par le ministère de l'Éducation nationale. Plusieurs enquêtes ont montré depuis quelques années que les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons, qu'elles redoublent moins, que leur taux de réussite aux examens est plus élevé... mais qu'à l'heure de l'orientation elles délaissent les filières professionnelles ou scientifiques et techniques, ce qui engendre une partie des inégalités constatées ensuite dans le monde du travail. Si l'égalité réelle ne semble malheureusement pas être pour tout de suite, si notre vigilance et nos efforts doivent s'accentuer, il faut aussi mesurer les progrès accomplis depuis un peu plus d'un siècle en ce domaine. À Plovan comme ailleurs, cette marche vers l'égalité a connu un tournant décisif dans les dernières décennies du XIXe siècle avec l'ouverture d'une école primaire gratuite, laïque et obligatoire pour tous les petits français, garçons et filles. L'éducation de ces dernières a été confiée à des personnes qui allaient devenir des figures familières de la vie villageoise : les institutrices.

Classe des filles par Théophile Emmanuel Duverger, date inconnue


I. Les origines, la formation, le début de sa carrière

Françoise Désirée Le Bœuf est la première institutrice qu'a connu Plovan. Elle est née le 1er février 1867 à Banastère en Sarzeau (Morbihan), fille de Michel Joachim Le Bœuf (1831-1869), préposé des douanes, et de Mathurine Le Ridant (1837-1868), ménagère. Elle ne connaît quasiment pas ses parents puisqu'ils décèdent avant qu'elle atteigne l'âge de 3 ans : elle perd sa mère le 11 décembre 1868 puis son père le 24 décembre 1869, la veille de Noël. L'orpheline est sans doute prise en charge par quelques membres de sa famille, grands-parents maternels, oncles ou tantes, jusqu'à ses 10 ans. 
À cet âge, elle est envoyée à Saint-Germain-en-Laye comme élève à la Maison des Loges, une des trois maisons d'éducation de la Légion d'honneur, des établissements accueillant les jeunes filles pauvres ou orphelines dont le père, le grand-père ou l'arrière-grand-père a fait partie de l'ordre de la Légion d'honneur. Elle y demeure plus de 7 ans, du 7 novembre 1877 au 5 avril 1885, s'y forgeant une solide instruction.

Première distribution des croix de la Légion d'honneur, le 14 juillet 1804 par Jean-Baptiste Debret, 1812, Musée national du château de Versailles


Elle doit ce privilège à son défunt père. Né le 12 mars 1831 à Saint-Armel (Morbihan), Michel Joachim Le Bœuf était grenadier au 98e régiment d'infanterie avant de devenir préposé des douanes. Il a été fait chevalier de la Légion d'honneur, ordre créé par Napoléon Ier en 1802, par décret du 16 avril 1856. Robert Appéré, son arrière-petit-fils, nous a appris, en précisant bien que l'information était à vérifier, qu'il l'aurait reçu « pour avoir dégagé Mac Mahon blessé à la bataille de Sébastopol lors de la guerre de Crimée ». La guerre de Crimée (1853-1856) est un conflit opposant la Russie à une alliance formée par l'empire ottoman, le Royaume-Uni et la France de Napoléon III. Pour les Français, l'essentiel de cette guerre se déroule dans la péninsule de Crimée, territoire de l'empire russe (que l'actualité récente a mis sur le devant de la scène), et plus particulièrement autour de la base navale de Sébastopol. Le souvenir de cet affrontement, largement méconnu aujourd'hui, apparaît encore dans quelques noms de lieux (l'Alma, Malakoff...). Patrice de Mac Mahon (1808-1893), futur homme politique et maréchal de France, est pour lors général de division. Il s'illustre notamment lors de la prise du fort de Malakoff, le 8 septembre 1855. Comme nombre de soldats – on pense à Charles Bataille, lui aussi ancien militaire devenu préposé des douanes et aubergiste à Plovan – Michel Le Bœuf a intégré le service des douanes après l'armée et est revenu vivre dans son Morbihan natal où il a fondé une famille.

La gorge de Malakoff par Adolphe Yvon, 1859, Musée national du château de Versailles


C'est au cours de ces années parisiennes que Françoise Désirée Le Bœuf obtient son brevet élémentaire, le 12 juillet 1884. Elle intègre semble-t-il ensuite l'école normale de Quimper. Elle démarre sa carrière d'enseignante comme institutrice stagiaire à Quimperlé (de septembre 1886 à mai 1887) puis à Primelin (de mai 1887 à septembre 1888). Son passage éclair à Quimperlé s'explique par les mœurs strictes de l'époque : elle est transférée loin de son premier poste suite à un comportement jugé scandaleux par sa hiérarchie. Célibataire, elle a rencontré un homme divorcé à Lorient et projeté de l'épouser. Elle reviendra à Quimperlé, nous le verrons, quelques années plus tard. Cela ne l'empêche en tout cas pas d'obtenir son certificat d'aptitude pédagogique le 1er juin 1888. Elle devient peu après institutrice titulaire à l'école du Quinquis à Fouesnant (d'octobre 1888 à août 1890). Elle quitte ce poste au cours de l'été 1890 pour prendre la direction de Plovan où elle vient d'être nommée institutrice chargée d'école.



II. Les années plovanaises

Nommée le 23 août 1890, Mademoiselle Le Bœuf n'arrive à Plovan que le 15 septembre suivant pour prendre possession de son nouveau poste, le temps sans doute de prendre des dispositions pour son déménagement, sachant que Plovan est alors une commune relativement isolée. Elle arrive conjointement avec le nouveau directeur, André Salaün, et sa famille. Le deuxième instituteur, Corentin Le Berre, nommé seulement le 31 octobre, arrive le 3 novembre dans la commune qui l'a vu naître 25 ans plus tôt. Ces trois enseignants s'installent dans des locaux neufs ou restaurés, à même d'accueillir l'ensemble des garçons et des filles de Plovan, commune qui compte alors environ 1600 habitants.
La mission la plus délicate incombe à Désirée Le Bœuf : à la différence de ses collègues, elle part de zéro. À l'inverse des jeunes garçons, les familles de Plovan n'ont pas pris l'habitude de laisser leurs jeunes filles quitter la maison (et les tâches qu'elles pouvaient y accomplir) pour se rendre à l'école. Il lui faut donc sensibiliser les notables et les parents à l'obligation scolaire qui touche désormais les filles et vaincre sans doute la méfiance ou l'indifférence que sa démarche peut susciter. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer un épisode survenu à la fin de l'année 1890. Le maire de Plovan, Michel Gentric, sans doute influencé par des gens du bourg, reproche à l'institutrice de trop fréquenter le recteur Carval et de le laisser entrer dans l'école des filles. Il s'en plaint à l'inspecteur primaire à Quimper. L'institutrice étant alors célibataire, on peut imaginer que des rumeurs ont circulé sur une éventuelle liaison avec le prêtre âgé alors de 55 ans. Cela démontre l'existence d'un anticléricalisme déjà important chez une partie de la population. L'inspecteur primaire Nonus relativise largement cette affaire qui n'en est pas une dans une lettre à l'inspecteur d'académie datée du 6 décembre 1890 :

« Monsieur l'inspecteur d'académie,
Afin sans doute de compléter sa lettre à M. le Préfet, M. le maire de Plovan est venu à mon bureau mercredi dernier accompagné de M. Voquer père.
D'après lui, M. le recteur serait allé à l'école des filles à diverses reprises et pendant les récréations, il s'enfermerait dans la classe avec l'institutrice.
Il irait ainsi chez cette dernière et une fois il y serait resté jusqu'à 11 heures du soir. Comme je lui disais que j'allais faire venir l'institutrice, il me pria de ne pas lui dire que cela venait de lui. Je le lui promis.
J'ai vu aujourd'hui Melle Le Bœuf et voici ce qu'elle m'a dit : M. le recteur est allé bénir le logement, mais pas les classes. Elle était chez M. Salaün lorsqu'il est arrivé ; il a béni la maison, puis on a trinqué ; on est allé ensuite chez elle, le recteur, M. et Mme Salaün, où on a procédé de la même façon : bénédiction et rafraîchissement. Une autre fois, il est allé avant la classe, causer dans la cour des garçons avec les deux instituteurs et l'institutrice. Deux fois il est allé dans la cour des filles pendant la récréation de 10 heures. Il est entré une fois dans l'école pour voir la peinture, mais la porte n'a pas été fermée. Il est allé chez elle une fois après 4 heures mais il n'y est resté qu'une demi-heure et non jusqu'à 11 heures. La fille du maire, pensionnaire, était présente. Melle Le Bœuf est allée chez M. le recteur deux fois : une fois y passer la soirée avec M. et Mme Salaün à la suite d'une invitation ; une autre fois à la prière de la femme du maire qui l'avait priée d'accompagner sa fille prendre les images que M. le recteur leur avait promises.
Voilà les faits tels qu'ils m'ont été racontés de part et d'autres. M. Salaün m'écrit que jamais le recteur n'est entré dans son école. En ce qui concerne l'école des filles, il y a donc une grande différence entre les deux versions et M. le maire qui me disait être très satisfait de l'institutrice, qu'il ne voudrait pas la voir changer, ne serait-il pas poussé par d'autres ? Quoi qu'il en soit, ainsi que je l'ai recommandé à l'institutrice, il est bon que le recteur n'aille plus dans la cour pendant les récréations.
Si vous jugez qu'une enquête soit nécessaire, je me rendrais sur les lieux.
J'ai l'honneur d'être Monsieur l'inspecteur d'académie, votre très humble serviteur,
 
L'inspecteur primaire Nonus »

 
L'inspecteur d'académie dûment informé par son subalterne peut ensuite écrire au préfet du Finistère deux jours plus tard : 
« Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous transmettre un rapport de M. Nonus au sujet des visites du recteur de Plovan à l'école publique des filles de cette commune et des rapports que ce prêtre aurait avec l'institutrice.
Il en résulte que :
1° le recteur de Plovan a béni, non les classes, mais les logements de l'instituteur et de l'institutrice : ceux-ci étant présents ; on a trinqué chez l'un comme chez l'autre ;
2° le recteur a causé une autre fois, dans la cour des garçons avec les instituteurs et l'institutrice ;
3° il est allé deux fois dans la cour de l'école des filles à 10h pendant la récréation ; il est entré une fois dans la classe, sans qu'aucune porte ait été fermée ; une autre fois, il est allé chez l'institutrice à 4h du soir et y est resté une ½ heure, et non jusqu'à 11h comme il a été dit au maire.
4° l'institutrice est allée deux fois chez le recteur ; une fois avec l'instituteur et sa femme, en visite et pour passer la soirée ; une autre fois, pour y accompagner la fille du maire & à la prière de Mme Gentric.
J'ai lieu de croire que ces faits sont exacts et qu'il n'y a rien eu de plus. Tout le reste n'est qu'insinuation calomnieuse ; la bonne foi du maire, qui habite assez loin du bourg, a été trompée.
Quant aux visites du recteur à l'école, elles n'auront plus lieu d'aucune manière, & l'institutrice, qui n'est allée que deux fois chez lui, nous avons vu dans quelles circonstances, n'y retournera plus.
Je dois ajouter que le recteur de Plovan, loin de chercher à nuire aux écoles laïques, y envoie des élèves.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de mon respectueux dévouement.

L'inspecteur d'académie »

Un commentaire du préfet ou d'un de ses subordonnés précise en marge : « Je trouve cette défense excessive. On ne peut l'en empêcher. Ce serait maladroit, excessif. On ne peut interdire cet acte de sa vie privée (écrire en ce sens). »   

Ces simples rapports de bon voisinage entre les instituteurs et le curé de Plovan, largement détournés par quelques personnes malveillantes, laissent imaginer le climat pesant qu'a pu connaître Désirée Le Bœuf dans les premiers mois de sa présence à Plovan mais mettent aussi à bas l'image d'un antagonisme systématique entre l'école de la République et l'Église catholique, impression que confirment les souvenirs de Georges Goraguer lorsqu'il évoque l'affection du même recteur Carval (surnommé Teuteur) pour ses frères jumeaux Léon et Lucien.
Une fois passées ces premières difficultés, Désirée Le Bœuf poursuit son travail de longue haleine pour éduquer les petites plovanaises. Elle est inspectée à plusieurs reprises (10 avril 1891, 16 février 1892, 18 novembre 1893...) ; à chaque fois, on note un écart important entre le nombre d'élèves inscrites et le nombre d'élèves présentes : 



10 avril
1891
16 février 1892
18 novembre 1893
Élèves inscrites
68
64
53
Élèves présentes
37
34
31

Le rapport de 1893 indique qu' « une violente tempête a retenu chez elles les enfants des villages et des fermes ». Mais il ne faut pas se laisser berner par cette excuse. Ce faible nombre d'inscriptions et ce fort absentéisme traduisent la difficulté qu'elle rencontre à convaincre les familles de laisser leurs filles venir à l'école comme la loi les y oblige pourtant. 
 
 


Photographie des élèves de l'école des filles entre 1890 et 1892 (DR)


Loin de lui en faire le reproche, il faut rappeler à sa décharge qu'elle est partie de rien à Plovan. Elle peut donc poser fièrement sur cette photographie inédite de l'école des filles de Plovan, que nous devons à Jean-Yves Marchand. Datant des années 1890 à 1892, on y voit Mademoiselle Le Bœuf assise au deuxième rang, au milieu d'une trentaine de ses élèves en coiffe, le visage sérieux. Sur la gauche, on voit l'épouse du directeur (Marie-Reine Thos, épouse Salaün), la mère des 6 fillettes en habits modernes. Enfin, à droite au dernier rang, on aperçoit une bonne. L'existence de cette photographie de l'école des filles, sans doute une des plus anciennes prises à Plovan, laisse du même coup supposer l'existence de son pendant pour l'école des garçons... aujourd'hui perdu.

Les années passent et Désirée Le Bœuf voit se succéder plusieurs directeurs à la tête de l'école des garçons : après André Salaün (1890-1892), elle voit arriver Jean Émile Mazé (1892-1893) puis Louis Nédélec (1893-1901). Elle ne connaît en revanche qu'un seul instituteur adjoint, Corentin Le Berre, personnage qui nous est désormais familier grâce au travail de son petit-fils Jean-Yves Marchand. Elle rencontre également un autre instituteur, de 4 ans son aîné, célibataire comme elle, nommé à Peumerit en septembre 1893. Il s'agit de Francis Appéré (1864-1945), natif de Saint-Pol-de-Léon. Les deux enseignants se marient le 17 avril 1894 à Plovan en présence de nombreux collègues et amis : Martin Stéphan, 38 ans, instituteur à Peumerit, Louis Nédélec, 40 ans, instituteur à Plovan, Yves Riou, 34 ans, instituteur à Tréogat, et Georges Voquer, 23 ans, étudiant en droit, de Peumerit. Le couple vit au bourg de Plovan, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes puisque Francis Appéré conserve son poste à Peumerit jusqu'en octobre 1896 avant d'être transféré à Tréogat. Il doit donc faire quotidiennement l'aller-retour entre son domicile et son école, sans doute à pied. On imagine la fatigue que ce rythme de vie occasionne, d'autant que leurs premiers enfants voient le jour à Plovan : Jeanne Louise Appéré, née le 26 janvier 1895, puis Marie Lucie Appéré, née le 21 septembre 1897. En juin 1897, après trois années de ce régime, souhaitant logiquement obtenir un poste double pour elle et son mari, Désirée Appéré écrit à l'inspecteur pour lui demander leur nomination dans une même commune. Elle obtient gain de cause puisqu'ils sont nommés à Pleyben pour la rentrée suivante.



III. La suite de sa carrière

La famille Appéré quitte donc le bourg de Plovan dans le courant de l'été 1897 pour se rendre à l'école de Pont Keryeau à Pleyben. C'est là que naissent les deux derniers enfants du couple : Georges Appéré, né le 14 janvier 1901, et Robert Appéré, né le 21 mai 1902. Ils sont ensuite nommés à Collorec (septembre 1902) et finalement à Quimperlé (décembre 1911), où Désirée et Francis Appéré achèvent leurs carrières en juin 1922.

Photographie où figurent Désirée et Francis Appéré, alors âgés de 66 et 69 ans, à gauche, prise en 1933 (Robert Appéré DR)


Au terme d'une vie bien remplie, veuve, elle meurt le 28 août 1946 à Rennes, où vit son fils Robert, à l'âge de 79 ans.


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J'espère, par ce texte, avoir permis de réparer l'oubli qui entourait cette femme au parcours si singulier, qui a sans aucun doute joué un rôle important dans l'histoire scolaire de Plovan et dont l'action a marqué un tournant décisif bien que balbutiant dans l'émancipation des Plovanaises. Je tiens à remercier tout particulièrement M. Robert Appéré, petit-fils de Désirée Le Bœuf-Appéré, pour sa gentillesse et pour les documents et les renseignements qu'il a bien voulu me communiquer. Je veux y associer M. Jean-Yves Marchand, petit-fils de Corentin Le Berre, pour avoir eu la bonne idée de m'envoyer cette photographie oubliée découverte dans ses papiers de famille. Le travail de recherche entamé en avril 2010 sur l'histoire des écoles de Plovan se poursuit et n'a sûrement pas fini de livrer tous ses trésors !


Mathieu GLAZ



Sources et bibliographie

Archives départementales du Finistère : 1 T 92 (documents sur l'école publique de Plovan entre 1831 et 1926), 1 T 484 (dossier de Francis Appéré), 1 T 601 (dossier de Désirée Le Bœuf).

Jean-Yves MARCHAND, Souvenirs d'enfance : Corentin Le Berre et autres histoires, Association du patrimoine de Plovan, 2013.

Rebecca ROGERS, Les demoiselles de la Légion d'honneur : les maisons de la Légion d'honneur au XIXe siècle, Plon, 1992.