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vendredi 20 octobre 2017

Saga des Raphalen : suite et fin

Après des articles sur Pierre-Marie (Bulletin municipal de Plovan 2017, en cliquant ici), Jean (Cap Caval n° 38, juillet 2017) et Sébastien (Le Lien, revue généalogique du Finistère, n° 145, mars 2018), notre série d'articles sur la famille Raphalen s'achève par les deux derniers membres de la fratrie, ceux que l'on connaît le moins, faute de sources : Daniel et Corentine.

Daniel Raphalen (1875-1911)

À quoi rêve Daniel Raphalen, le 17 juin 1896, lorsqu'il marche à travers la place Saint-Corentin en direction de l'Hôtel de ville de Quimper ? Les travaux d'écriture comme clerc de notaire chez Me Guirriec, à Peumerit, où il travaille depuis quelques mois, l'ont-ils déjà lassé ? On ne le saura jamais. Le jeune homme de 21 ans, aspirant certainement à une vie plus aventureuse que celle qui s'esquisse pour lui, s'apprête à signer un engagement volontaire de trois ans dans l'infanterie. Sa fiche matricule nous dépeint un homme d'1,65 m. aux cheveux et aux sourcils bruns, le visage ovale avec des yeux châtains, un petit nez et un menton rond. 
Au lendemain de son engagement, il rejoint les rangs du jeune 6e régiment d'infanterie de marine de Brest. Promu caporal puis sergent, il renouvelle son engagement pour trois ans en 1899, année où il passe au régiment de « tirailleurs soudanais » – ancêtre des fameux régiments de tirailleurs sénégalais – au sein duquel il participe, d'octobre 1899 à juin 1902, aux conquêtes coloniales du « Soudan français » (dans l'actuel Mali).

Régiment de tirailleurs soudanais à Kati, à proximité de Bamako vers 1900


Il reste en AOF (Afrique occidentale française) jusqu'en mars 1904, moment où il intègre le 2e régiment de tirailleurs tonkinois basé au Sept-Pagodes, à l'est d'Hanoï, dans le nord de l'Indochine. S'ensuivent deux nouvelles années de guerre coloniale dans le delta du Fleuve Rouge, avant qu'il ne change encore une fois d'unité et repose le pied sur le sol métropolitain, après huit ans d'absence. Au Tonkin, son uniforme et celui de ses subalternes ressemblaient sans doute à ceux qu'on peut observer sur la photo, légèrement postérieure, placée ci-dessous.


Clairons du 4e régiment de tirailleurs tonkinois en 1918

Le 19 juin 1911, pour une raison indéterminée – maladie, traumatisme physique ou mental lié aux guerres qu'il a menées, consommation d'alcool ou de drogue... ? –, après quinze ans de carrière sur les différents théâtres d'opérations de l'empire colonial français, il passe devant la commission spéciale de Quimper qui le réforme pour « aliénation mentale ». Il meurt quelques jours plus tard, le 4 juillet 1911, chez son frère Sébastien au bourg de Plonéour. Son enterrement a lieu le lendemain à Plovan. L'événement est jugé suffisamment important pour être relaté dans la presse (Le Citoyen, 15 juillet 1911) :



« Mercredi 5 juillet courant, on enterrait à Plovan M. Daniel Raphalen, ex-sous-officier de l'infanterie coloniale, décédé chez son frère M. Sébastien Raphalen, commerçant à Plonéour-Lanvern. Une foule nombreuse a accompagné le malheureux militaire à sa dernière demeure. Toutes les communes depuis Pont-l'Abbé jusqu'à Plozévet, étaient représentées, car la famille Raphalen dont le père a été pendant de longues années, maire à Plovan, est très honorablement connue dans la région. Sur le cercueil étaient placés le sabre du défunt et les nombreuses médailles qu'il avait méritées sur les territoires du Sahara et du Soudan. La veille de sa mort, coïncidence douloureuse, la gendarmerie de Plogastel [le] recherchait à Plovan pour lui faire signer sa liquidation de retraite. »


Est-ce lui que certains témoins se souviennent avoir vu en photographie, vêtu d'un uniforme et armé d'un sabre, à l'intérieur de la maison de Pierre-Marie Raphalen ? Et lui encore qui a rapporté cette étonnante collection d'éléphants en ivoire, vu autrefois dans le même intérieur ? C'est plausible.



Pendant que ce frère, suppôt d'une colonisation tricolore triomphante, découvrait le vaste monde, les autres enfants Raphalen aspiraient plus modestement à développer leurs affaires, avec des fortunes diverses. Ils se marient tous entre 1896 et 1905 : l'aîné, Pierre-Marie, devient négociant en vins au bourg de Plovan.  Les deux autres frères tentent l'aventure ailleurs : Jean, après avoir été plusieurs années boulanger au bourg de Plovan et avoir entrepris de s'établir à Pluguffan avec sa première femme, s'installe comme hôtelier-restaurateur à Pont-l'Abbé avec sa seconde épouse ; Sébastien, établi comme boucher au bourg de Plonéour-Lanvern, il devient un important marchand de beurre et d’œufs avant de fonder une usine de conserves alimentaires en 1926. Quant à la cadette, Corentine, unique fille de la fratrie, mariée à Jean-Marie Le Pape, elle devient commerçante dans son bourg natal.



Corentine Raphalen (1878-1908) et ses enfants

Bien qu'elle soit la plus jeune, Corentine, l'unique fille de la fratrie, est la seconde à se marier, un an et demi après son frère aîné. On lui choisit pour mari un jeune homme de bonne famille, fils comme elle d'un ancien maire de Plovan : Jean-Marie Le Pape (1874-1931), de Kerguelen vras, petit homme brun d'1,65 m., ajourné pour faiblesse au service militaire en 1895 et 1896. Les Le Pape sont l'une des plus riches familles de la commune, à la tête d'un important patrimoine comprenant les fermes de Kerguelen vras (15 ha), de Pompouillec (13 ha) et de Kervardez (13 ha) ainsi que le moulin à vent de « Kerangoff » (aujourd'hui Kergoff) et des droits sur Stang Liou et Goarem-Vez.

Maison d'habitation de Kerguelen vras, berceau de la famille Le Pape (collection de l'auteur)

  Jean-Marie Le Pape a trois frères et deux sœurs :

  • Daniel Le Pape (1868-1942), marié en 1892 à Marie Gentric, de Renongard, fille du maire Michel-Daniel Gentric. Ils ont huit enfants. Il est propriétaire à Pompouillec (1895-1902) avant de s'installer, entre 1902 et 1905, à l'angle de la place de la République et de la rue Hoche à Pont-l'Abbé, où il est marchand de vins (1905-1913) puis simple employé (1926).
  • Marie-Jeanne Le Pape (1871-1967), mariée en 1889 à Jean Gentric, propriétaire à Kerstéphan. Ils ont trois enfants. Ils vivent à Kerstéphan (1889-1896) avant de s'installer à Quimper (1901-1906). Veuve à partir de 1909, Marie-Jeanne vit par la suite à Kerfeunteun (1914-1921).
  • Jean Corentin Le Pape (1881-1973), militaire de carrière dans l'infanterie (1899-1919) puis percepteur, marié en 1912 à Marie Supiot, originaire de Villedieu-la-Blouère (Maine-et-Loire). Ils ont deux enfants. À sa mort, il est domicilié à Descartes (Indre-et-Loire).
  • Marie Mathurine Le Pape (1883-1968), mariée en 1905 à Alain Guéguen, originaire de Pouldreuzic. Ils s'installent à Kervardez (1905-1909) puis à Kerstéphan (1911). Veuve de guerre, elle se remarie en 1919 avec Daniel Le Bec, du Viny, futur maire de Plovan. Elle a eu au total quatre enfants de ses deux mariages.
  • Michel Le Pape (1887-1978), marié en 1920 à Marguerite Pia Catherine Le Goff, de Plozévet. Ils ont trois enfants. Il est clerc de notaire puis expéditeur de grains et de légumes à Ergué-Armel et enfin marchand de charbon et de pommes de terre à Quimper.

 

Maison de commerce Le Pape vers 1925 (carte postale CIM, collection de l'auteur)

Le mariage de Corentine Raphalen et Jean-Marie Le Pape est célébré à Plovan le 13 juin 1897. Ils s'installent comme commerçants dans une ancienne maison du bourg, à l'emplacement de la bâtisse que l'on voit en blanc sur cette photo du milieu des années 1920. Occupé jusque-là par le tailleur Yves Bourdon, leur nouveau foyer n'est composé, en 1897, que d'une « maison d'habitation avec appentis [côté ouest], partie nord, construite en simple maçonnerie et couverte en ardoises, ouvrant au levant de deux portes et d'une fenêtre, ayant deux cloisons et un grenier avec une cour ou passage au midi et au couchant, une soue à porcs à l'angle sud-ouest de la cour et droit de puiser de l'eau dans le puits sis au nord-ouest de l'appentis susmentionné. » (Le Finistère, 23 février 1897). Ils transforment l'édifice d'origine dans les années suivantes, lui donnant l'aspect visible sur la photo et qui, d'extérieur, est toujours le sien aujourd'hui après avoir été acquis par la commune et transformé en logements sociaux. En 1929, c'était encore « une maison d'habitation et de commerce ayant rez-de-chaussée, étage composé de 7 pièces, grenier au dessus, un bâtiment servant de magasin, une crèche, une cour et le droit au puits. » (Le Citoyen, 7 février 1929). 

C'est probablement là que naissent les trois filles du couple Le Pape-Raphalen :

  • Joséphine (dite « Fine ») Corentine Marie Le Pape (née au bourg de Plovan le 4 mai 1898 – morte à Bordeaux le 14 novembre 1972).
  • Eugénie Jeanne Marie Le Pape (née au bourg de Plovan le 20 décembre 1899 – morte au bourg de Plovan le 25 juillet 1917).
  • Marie Louise Le Pape (née au bourg de Plovan le 3 mars 1902 – morte à Quimper le 3 janvier 1976).

Baptisées aux lendemains de leur naissance, ces nourrissons donnent l'occasion à leurs parents de renouveler les liens avec leur entourage de familiers par le choix d'un parrain et d'une marraine. Dans la plus pure tradition catholique, les parents choisissent ces derniers parmi les oncles et les tantes de leurs filles, en respectant à chaque fois la parité entre branche paternelle et branche maternelle. Corentine L'Helgoualc'h, la femme de Pierre-Marie, est ainsi la tante et la marraine de Joséphine Le Pape, qui vit à quelques mètres d'elle dans le bourg de Plovan. Eugénie devient la filleule de son oncle Jean Raphalen, pour lors encore célibataire et installé chez la grand-mère Scaon au bourg de Plovan. Marie Louise Le Pape doit quant à elle ses prénoms à sa marraine, Marie Louise Lucas, épouse de Sébastien Raphalen, de Plonéour.

 

Les trois filles Le Pape : Joséphine et Marie, à gauche vers 1918, et Eugénie, à droite vers 1915 (collection de l'auteur)

Passée la naissance de Marie, le couple ne donne plus naissance à aucun enfant. Corentine Raphalen a-t-elle déjà des problèmes de santé ? C'est envisageable. Elle meurt six ans plus tard, le 31 octobre 1908, à l'âge de 30 ans. C'est en partie pour cela que, des cinq enfants Raphalen, c'est elle qui est la plus mal aisée à connaître. Hormis ses dates de naissance, de mariage, d'accouchements et de décès, on sait peu de choses la concernant. 

Se retrouvant veuf avec trois jeunes filles âgées de 6 à 10 ans, Jean-Marie Le Pape fait étonnamment le choix de ne pas se remarier. Sa mère, Marie-Anne Le Goff (1843-1936), veuve pour sa part depuis 1898, s'installe chez lui sans doute afin de s'occuper de ses petites-filles. Au besoin, l'aïeule peut compter sur sa propre fille, Marie Le Pape, épouse Guéguen, établie à Kerstéphan, une ferme à proximité immédiate du bourg. Au-delà de son métier de commerçant, Jean-Marie Le Pape est un homme engagé dans la vie de sa commune : conseiller municipal (1912-1925), il est membre de la majorité républicaine radicale qui dirige Plovan tout au long de la IIIe République ; il apparaît aussi à plusieurs reprises parmi les répartiteurs (1914, 1919, 1921, 1923...), c'est-à-dire les hommes qui établissent le nombre de journées de travail que chaque habitant doit, en guise d'impôts locaux, consacrer à la commune sur une année. 

Lorsque la guerre éclate, malgré sa situation familiale, il est déclaré bon pour le service (12 novembre 1914). Mais en considération de son âge – il a plus de 40 ans – il n'est quasiment affecté qu'à des régiments d'infanterie territoriale (RIT), à commencer par le 86e RIT de Quimper, des unités normalement moins exposées aux combats (il aurait malgré tout été gazé). Mobilisé le 13 mars 1915, il est successivement incorporé au 5e groupe cycliste de Vitré (mars 1915), au 4e bataillon de chasseurs à pied (juillet 1915), au 59e RIT de Chalon-sur-Saône (octobre 1915) et au 64e RIT de Nevers. Il passe ensuite au 53e RI (juillet 1917) puis au 49e RIT (octobre 1918). Absent pendant plus de quatre ans, Jean-Marie Le Pape n'est pas là lorsque sa fille Eugénie meurt en juillet 1917. À la fin de la guerre, il intègre le 5e régiment du génie (novembre 1918). Il est envoyé en congé illimité de démobilisation le 3 avril 1919.

Six mois après son retour, en septembre 1919, il marie sa fille aînée à Pierre-Marie Burel (1890-1970), de Kergorentin. Il leur vend son fonds de commerce – boulangerie, draperie, épicerie et débit de boissons – en avril 1920 et entame alors une activité d'entrepreneur en travaux publics (Le Citoyen, 7 mai 1920). À ce titre, il réalise le pont permettant d'accéder à la grève de Tréogat, enjambant le canal reliant les étangs de Kergalan et de Trunvel.

Pont d'accès la grève de Tréogat, construit dans les années 1920 (collection de l'auteur)

Ses petits-enfants, bien qu'ils ne l'aient pas ou peu connu, ont conservé une anecdote peu banale le concernant : à une époque où les naufrages à la côte de Plovan sont encore assez courants, Jean-Marie Le Pape acquiert une épave de voilier sur laquelle il récupère voiles, ferrailles (rambarde ciselée, grilles de fond de cale), poulies, miroir de la cabine du commandant... autant d'objets dont une partie se retrouve des années plus tard employée dans la ferme de sa fille à Cruguen. Il se rend également propriétaire de la belle maison en pierres de taille, voisine de son commerce, un ancien presbytère construit sans doute au XVIe siècle et restauré vers 1628. Outre la maison d'habitation faisant face à l'église, la propriété comprend aussi une petite maison avec four, une écurie et un hangar.


Maison de Jean-Marie Le Pape dans les années 1920

À l'époque, elle est encore associée à un appentis au pignon couchant, comme on peut le voir sur cette photo. Sur la crête du toit, on distingue aussi un petit paratonnerre. Dans l'une puis l'autre de ses maisons, il a l'habitude de loger quelques pensionnaires ou locataires : Plovan accueillant jusqu'à la fin des années 1920 une brigade de douaniers, plusieurs d'entre eux vivent en pension chez lui. À la même époque, le facteur Michel Simon lui loue une pièce pour exercer son autre activité, celle de tisserand.

Dans le Plovan de l'époque, la maison Burel-Le Pape reste l'un des principaux commerces du bourg. Georges Goraguer rapporte dans ses souvenirs qu'outre la boulangerie et le débit de boissons, « l'établissement de Fifine Le Pape [jouait à l'occasion] le rôle de restaurant et logeait à pied et à cheval. » À plusieurs reprises au cours de ces années, s'y déroulent de grands banquets marquant les temps forts de la vie communale. Mais à partir de 1928, ce lieu de fête et de libations s'attire les foudres du recteur Maréchal. Joséphine Le Pape et son mari ne sont pourtant pas de mauvais paroissiens : un an après leur mariage, en septembre 1920, le couple avait offert à l'église une statue de sainte Jeanne d'Arc, que le recteur fit placer sur l'autel auprès de la sacristie. C'était peut-être là l'accomplissement d'un vœu en reconnaissance de la protection de la sainte patronne de la France pendant la guerre. Ce que le prêtre leur reproche à partir de février 1928, c'est l'organisation de bals dans leur commerce les dimanches et jours de fêtes religieuses... ! Mais bien que le curé dénonce publiquement en chaire les salles de danse et refuse à Joséphine de faire ses Pâques, rien n'y fait, les bals continuent. Il faut dire que le commerce a alors un impérieux besoin de l'argent que lui rapporte ces réjouissances.


La situation financière du couple Burel est en effet critique. Au début de l'année 1928, ils ont été assignés devant le tribunal de commerce de Quimper par Félix Moysan, négociant en vins et spiritueux à Pont-l'Abbé, pour une livraison de marchandises restée impayée depuis décembre 1926. Dans le courant de l'année, d'autres créanciers suivent son exemple, si bien que le 19 octobre 1928, face à l'impossibilité des intéressés de payer, le tribunal est contraint de prononcer la faillite du commerce. L'implacable mécanique judiciaire se met alors en marche : la faillite est annoncée dans la presse, rameutant quantité de créanciers, les biens du couple sont saisis et finalement mis en vente. Dans son journal, le recteur, décidément parfois bien peu charitable, note alors :



« La justice de Dieu qui passe. Le 29 octobre 1928, les scellés sont apposés sur la maison de Pierre Marie Burel et de Joséphine Le Pape du bourg. Par suite de faillite. Donc la salle de danse est fermée pour le moment. Le 30 décembre, c'est la vente du mobilier de cette maison et plus tard ce sera la vente de la maison. […] Le 14 février, la maison est vendue aux enchères, dans la mairie de Plovan, à Corentin Goanec. »



Mais ces difficultés n'empêchent pas les Burel, en particulier Joséphine, de rester fidèle à leur caractère généreux. Jusqu'à l'excès peut-être : Joséphine aurait accepté depuis des années d'être la marraine de très nombreux enfants de Plovan. C'est elle et son mari qu'il faut sans doute voir à travers l'accueillant couple d'aubergistes qui reçoit une trentaine de scouts parisiens de passage à Plovan au cours de l'été 1928. L'épisode est relaté par le père jésuite Paul Doncœur, l'adulte encadrant la troupe, dans un récit de voyage écrit dans un style élégant, qui mérite d'être cité en longueur :



« Plovan, c'est, au bout du monde, le pays perdu entre tous. Point de route ; on n'y accède que par surprise. Mais aux curieux de la vraie Bretagne, il offre une image presque intacte : autour d'une église, ceinte de son cimetière aux dalles en déroute, quelques fermes, puis le bourg aux murs élevés qui lui donnent un air de forteresse. Nos fourriers [NDR : avant-garde des scouts préparant l'arrivée du groupe] n'ont pas achevé de dire qui nous sommes que le sonneur [Albert Boissel, le bedeau] se précipite : « Ah ! mais au meeting de Landerneau j'étais, moi, avec notre recteur et avec notre organiste [Daniel Le Bec, de Kerstéphan]. Ah ! c'était beau mon Père... Mais oui, pour sûr, on va vous loger. Et c'est M. le recteur qui regrettera ! À Quimper, il est, à la retraite. » Sur ces entrefaites, une jeune femme [Joséphine Le Pape ?] s'est avancée, résolue ; elle nous conduit dans une grande pièce encombrée de tables, de barriques, de bancs : c'est la salle de noces. « Mais oui pour trente, il y en aura bien de la place. – Et de la paille ? – L'organiste à Ker-Stéphan vous en donnera, bien sûr ! – Et la soupe ? – On vous la cuira. – Et du beurre ? – On en a. – Et des confitures ? – Des confitures. – Et du cidre ? – Du cidre. – Et du café ? – Du café. ».

Le campement a déblayé en un tournemain la place. Dans la petite cuisine, les cuistots aidés de l'aubergiste [Pierre-Marie Burel ?] font déjà roussir les omelettes sur le feu. Les tables sont mises, les grands pains s'amoncellent. Vrai repas de noce auquel ne manquent ni le cidre, ni les chansons. Dans la rue, dans la salle même, les curieux sont nombreux. Comme toujours, la prière avec eux. Et puis, bonsoir. »



Parenthèse souriante dans un climat familial sans doute pesant. Dans les mois et les années qui suivent l'annonce de la faillite, les demandes de paiement ou de remboursements affluent auprès du syndic chargé de régulariser la situation. Factures de marchandises impayées, impôts et gages de domestiques restant à acquitter, emprunts d'argent dans la famille ou auprès de gens proches à Plovan... Le 7 novembre 1930, le juge commissaire de la faillite indique que, faute de fonds, la procédure ne peut se poursuivre et la clôt. Pour qualifier cette histoire, on parlerait aujourd'hui de spirale du surendettement. Mais dans la société villageoise des années 1920, ce ménage honnête mais malheureux en affaires dû affronter sans l'ombre d'un doute les ragots et les quolibets, sans compter l'humiliation publique de voir ses biens dispersés. Des blessures moins tragiques que les problèmes traversés dans les mêmes années par leur oncle Pierre-Marie Raphalen et sa famille, à quelques mètres seulement dans le même petit bourg de Plovan. Mais des blessures suffisamment douloureuses pour les amener à quitter la région. Dès janvier 1929, la famille Burel, qui a vu naître quatre enfants entre 1920 et 1926, quitte définitivement la Bretagne pour s'établir en Gironde. Établis à leur arrivée comme fermiers au domaine de Piveteau en Créon, ils changent à plusieurs reprises de domiciles (Haux en 1930, Le Pout en 1933...) avant de faire souche à Cénon, où deux des filles Burel se marient dans les années 1940. Par la suite, « Fine Pape » et son mari reviendront assez régulièrement à Plovan.


Les filles Le Pape en mariées : Joséphine avec Pierre-Marie Burel à gauche en 1919 ; Marie avec Corentin Glaz à droite en 1924 (collection de l'auteur)


Après ce départ, ne demeure donc à Plovan que la plus jeune fille de Jean-Marie Le Pape et Corentine Raphalen : Marie, qui a épousé, en 1924, Corentin Glaz (1895-1969), fils de modestes cultivateurs plovanais. Elle s'installe avec lui à Cruguen, près de l'étang de Kergalan, dans une petite ferme héritée de sa mère – autrefois demeure de douaniers – dont le couple devient propriétaire en 1927. Ils cèdent une partie de leurs terres à la commune deux ans après afin de permettre la réalisation du nouveau cimetière. Jean-Marie Le Pape, dont la reconversion comme entrepreneur n'a pas fait long feu, meurt quelques mois plus tard, en janvier 1931. La deuxième maison du bourg est alors à son tour mise en vente et quitte le giron familial.

Photos de Cruguen, chez Corentin Glaz et Marie Le Pape, ici en 1976 (collection Victoria Le Roux)



Depuis l'extinction de la branche aînée de la famille Raphalen avec la mort de Jeannette en 1988, les enfants et petits-enfants de « Mari vihan Cruguen » sont les derniers descendants plovanais de Charles Corentin Raphalen, maire de Plovan entre 1874 et 1883.


Mathieu GLAZ

Sources 

ADF, 1 R 1165, classe 1895, n° matr. 396 (fiche matricule de Daniel Raphalen)

Archives familiales (photos, papiers...)


Archives municipales de Plovan (état civil, registre de délibérations 1912-1925...)


Archives paroissiales de Plovan, journal de Jean-Marie Maréchal (1910-1941)


DONCŒUR Paul, « Routes de Bretagne », Études, t. 197, octobre-décembre 1928, p. 9-10.


Presse quotidienne ancienne (consultable sur le site des ADF)

lundi 24 avril 2017

Noël Jézéquel, un pionnier de l'histoire de Plovan

Notre association fêtera, en 2017, ses vingt ans d'existence. Deux décennies mise au service de la promotion du patrimoine et de l'histoire locale. Un autre anniversaire, plus triste, est passé inaperçu en mars dernier : il y a 100 ans, disparaissait un des pionniers de l'histoire de Plovan. Noël Jézéquel (1879-1917), vicaire de la paroisse, fut en effet, au début des années 1910, l'un des premiers, si ce n'est le premier, à s'intéresser à l'histoire de notre petit territoire. En son hommage, nous revenons ici sur son parcours et nous diffusons pour la première fois son travail, modeste il est vrai mais précieux pour la mémoire de Plovan.
 
I – Un prêtre léonard lancé sur les traces du passé plovanais

En marge de nos recherches concernant l'école des Sœurs de Plovan, nous avons découvert un curieux cahier glissé dans le journal paroissial tenu par Jean-Marie Maréchal, recteur de Plovan entre 1910 et 1941. Pour comprendre ce qui suit, il faut savoir que les prêtres en charge d'une paroisse devaient autrefois tenir un « registre paroissial » comprenant deux parties :
  • une « partie historique », retraçant l'histoire de leur paroisse depuis les origines, de son clergé et des œuvres qui y sont menées
  • et un « registre journal », répertoriant au fil des semaines ou des mois les principaux événements religieux, les accidents, les phénomènes météorologiques... qui marquent la vie de la paroisse
À cet effet, des registres vierges standards sont fabriqués par l'imprimerie de Kerangal, à Quimper, pour l'ensemble des paroisses du diocèse de Quimper et Léon, à charge pour les recteurs de les compléter manuscritement.
Le cahier qui nous intéresse ici a été arraché dans un de ces registres vierges et glissé dans un autre. Il compte simplement sept pages manuscrites. Deux écritures différentes sont reconnaissables : les six premières pages d'une écriture inconnue ; la dernière de la main du recteur Maréchal.

Page du cahier où l'on passe d'une écriture à l'autre


On peut affirmer, sans trop de risque, que la première écriture est celle d'un prêtre ayant collaboré plusieurs années avec le recteur Maréchal : Noël Jézéquel, vicaire de Plovan entre 1909 et 1914.


Noël Laurent Jézéquel est né à Plouguin, près de Ploudalmézeau, au cœur du Léon, le jour de Noël 1879. Son père, Jean Martin Jézéquel, est alors marin d’État, tandis que sa mère, Françoise Jétain, est ménagère. Noël est l'aîné d'une fratrie comptant deux autres garçons (Auguste et Joseph, nés en 1881 et 1884). La famille vit au bourg communal de Plouguin (1881-1886) avant de s'installer au château de Penmarc'h (1891-1911), en Saint-Frégant, près de Lesneven. Le père de famille, désormais militaire en retraite, y a été embauché comme garde particulier par le général de Montarby, propriété des lieux. Le domaine est acquis en 1922 par la ville de Brest qui y installe une colonie de vacances pour les enfants de familles nécessiteuses.


Château de Penmarc'h en Saint-Frégant, où vivent les Jézéquel


Le parcours de ce prêtre léonard est très classique : après des études au collège de Lesneven, Noël Jézéquel entre au Grand Séminaire de Quimper. L'étudiant ecclésiastique échappe au service militaire en 1900 et 1901 mais pas en 1902. Sa faible santé lui vaut d'être affecté aux services auxiliaires. Ordonné diacre en 1904, il devient prêtre le 25 juillet 1905. Il retourne alors vivre chez ses parents au château de Penmarc'h (présent en avril 1906).

Le 2 février 1909, plus de trois ans après son ordination, il reçoit sa première affectation : vicaire à Plovan, où il vient remplacer Jean-Noël Gloaguen (1871-1909), mort le 29 janvier précédent. Il assiste quelques mois le vieux recteur Carval, qui décède à son tour en décembre 1909. À partir de janvier 1910, il entame une collaboration de près de cinq ans avec le nouveau recteur, Jean-Marie Maréchal.

Le recteur Maréchal et probablement son vicaire, Noël Jézéquel, accompagnés d'un jeune bigouden, devant le porche de l'église de Plovan, vers 1910-1914 (photographie de Jacques de Thézac, coll. Musée breton)


 
C'est sans doute sur ordre de ce dernier que Noël Jézéquel est contraint de se pencher sur l'histoire de Plovan, aux environs de 1912. Car si le recteur Maréchal se charge effectivement de tenir le « registre journal », il confie à son vicaire le soin de rédiger la « partie historique ». Pour le guider dans sa tâche, une liste de « sources à consulter » est imprimée au début du registre.

 

 

Consignes du registre paroissial


 
Mais la paroisse de Plovan ne disposant pas, dans les années 1910, d'une bibliothèque suffisamment fournie pour effectuer ces recherches, le vicaire Jézéquel s'adresse à un ancien camarade de Séminaire, demeurant à Quimper, mieux à même que lui de se rendre à la bibliothèque municipale ou aux archives. Après plusieurs sollicitations postales, signes de la relative angoisse qui s'est emparée du vicaire face au travail qu'il doit accomplir, son ami prêtre lui répond ceci :

« Quimper, 3 mai 1912

Mon cher Noël,

J'ai, tout d'abord, à te prier de m'excuser de t'avoir fait attendre si longtemps. Je dois cependant, à la vérité, d'avouer que je n'ai nullement perdu de vue ta première lettre, et qu'à mes moments de loisir, j'ai fait des fouilles 1°) aux archives départementales ; 2°) à la bibliothèque de la ville ; 3°) à l'évêché. Je suis obligé, à mon grand regret, de reconnaître que le résultat de mes recherches est bien mince ! C'est, trop souvent, à cette sorte de déception qu'il faut s'attendre quand il s'agit de documents historiques sur des faits peu connus ou des coins à peu près ignorés. Une conclusion s'impose, dès maintenant : Plovan, « comme les peuples heureux », ne doit guère avoir d'histoire... du moins dans les papiers et registres de Quimper...

Aux archives et à la bibliothèque, rien ! De Mr Peyron [archiviste diocésain], je ne tiens que les renseignements suivants et il m'a dit que tu n'as pas à compter beaucoup sur d'autres éléments d'information.

a) La première chose que tu as à faire, pour être en règle, c'est de consigner sur ton cahier de paroisse les noms connus des recteurs de Plovan que tu relèveras dans les registres de la fabrique. Si tu le désires, il peut te procurer les noms de quelques recteurs antérieurs à 1600 et que tu ne trouveras pas probablement.

b) 1° Pour les monuments, consulter ton livre « Des églises du Finistère » de Mr Abgrall ; 2° la publication de Mr Duchâtelier (interrompue) sur les églises du Sud-Finistère, magnifique ouvrage dont il y a un exemplaire (en fascicules disparates) à l'évêché.

Voici quelques indications rapides :
Plovan 1°) modeste église du 16e siècle... (description...) 2°) belles ruines de la chapelle de Languido. Style de l'époque du XIIe siècle. Sur un tailloir qui se trouve à terre on peut déchiffrer l'inscription suivante : « Guillelmus canonicus et Ivo de Revesco aedificaverunt istam ecclesiam ».      

La chapelle possède une jolie rose du XVe siècle. Les piles et arcades sont du style de l'église de Pont-Croix (cf. Pont-Croix, chanoine Abgrall). Rem. Détail que j'ai omis et qui permet de dater la chapelle... Le chanoine Guillaume est indiqué comme étant attaché à la cathédrale de Quimper de 1162 à 1166 (cartulaire de la cathédrale).

Tu pourrais consulter également « le Finistère pittoresque » de Mr Toscer qui doit faire mention de Languido.

Les confrères du canton doivent, à défaut de toi-même, posséder les livres que je t'ai signalés.

Reste alors l'ensemble des vieux papiers du presbytère que tu pourras dépouiller tout à ton aise : « rien ne presse, dit Mr Peyron ; dites à Mr Jézéquel qu'il faut qu'il prenne beaucoup de temps pour mener son travail à bout... et encore, et encore, il n'est pas sûr de trouver grand chose ! Qu'il ne se déconcerte pas pour si peu ! Il est évident que – à moins de documents nouveaux – il ne découvrira rien d'extraordinaire concernant Plovan. Pour moi, je n'ai rien d'intéressant, par ailleurs, à lui communiquer, sauf les noms de quelques anciens recteurs... Mais voilà, ajouta-t-il en riant, on est jeune et on voudrait déblayer toutes les ruines pour qu'elles racontent d'elles-mêmes leur histoire. »

Tu vois, mon cher Noël, que tu n'as pas, comme on dit, à te manger les sangs et Monseigneur sera le premier à louer la sagesse de tes patientes recherches. Il suffit que tu « fasses quelque chose », comme tu l'observes toi-même, dans ta dernière lettre.

Tu pourrais, peut-être, recueillir des détails, sinon précieux et sûrs, du moins originaux et intéressants de la bouche des « vieux » de Plovan sur « la vie d'autrefois » dans la paroisse, peut-être même quelques anecdotes concernant la Révolution...

Enfin, voici la réponse à la question : différentes formes de paroisse... Je te la donne, d'après le Dictionnaire historique des mœurs et coutumes de la France (Chéruel) cf. au mot : clergé.
 
« … Dès le IVe siècle, les grandes villes avaient plusieurs églises, et dans chacune un prêtre chargé d'instruire le peuple. Bientôt on bâtit des oratoires dans les campagnes. Tel fut le commencement des cures et des paroisses. Dans l'origine, les prêtres qui en furent chargés portaient le nom de cardinaux, quand ils y étaient nommés définitivement. Ce fut, seulement, au XIIe siècle qu'on commença à les nommer curés, parce que le soin (cura) des âmes leur était confié. C'étaient autant de petits évêques : … ils pouvaient dire des messes, prêcher et même baptiser aux jours solennels. Ces droits ne furent accordés qu'aux titres principaux ou églises archipresbytérales, qu'on appelait à cette époque plebes. Le prêtre qui les administrait était quelquefois désigné sous le nom de plebanus. De ces églises principales dépendaient des cures inférieures ou oratoires, qu'on a appelées plus tard succursales... »

Donc, « une paroisse est une circonscription territoriale, dans laquelle un curé ou un desservant (recteur chez nous) exerce le ministère sacerdotal : les premières s'appellent cures et les secondes succursales. » Plovan a-t-il été jadis cure, ou simplement succursale, ou bien l'une d'abord et l'autre ensuite, il me semble qu'on ne demande pas autre chose et les anciens registres te renseigneront amplement.

Et maintenant, mon cher Noël, je te quitte, tout confus de ne pouvoir te fournir une documentation plus abondante et plus vivante, heureux pourtant si j'ai pu te rendre le plus léger service.

Je garde de toi, de nos années en commun au Séminaire, le meilleur souvenir et je te donne, en terminant, rendez-vous près de Jésus et Marie.

Bien cordialement à toi en N. S. [Notre Seigneur]

Ed Mesguen   
prêtre

P. S. : mes respects, s'il te plaît, à Mr Maréchal que j'ai eu le plaisir de connaître quand il était vicaire à Moëlan. »
 
L'auteur de la lettre, Édouard Mesguen (1880-1956), ordonné prêtre la même année que Jézéquel, est alors professeur à l'école Saint-Yves de Quimper. Esprit cultivé, raison pour laquelle notre vicaire de Plovan a jugé bon de lui écrire, Mesguen est appelé à connaître une belle carrière ecclésiastique : après Quimper (1905-1913), il part enseigner l'histoire au collège de Lesneven (1914-1920), prend la direction, à son retour de la guerre, du collège Notre-Dame du Kreisker à Saint-Pol-de-Léon (1920-1932), années au cours desquelles il entre au chapitre cathédral (1923), puis devient curé archiprêtre de la cathédrale de Quimper (1932-1934) avant finalement d'être sacré évêque de Poitiers en 1934.


Portait de Mgr Édouard Mesguen en 1934

 


Mgr Édouard Mesguen le jour de son sacre à Quimper, le 22 février 1934, entouré de Mgr Adolphe Duparc, évêque de Quimper et Léon (à gauche), et d'Auguste Cogneau, son évêque auxiliaire (à droite)

 
Le vicaire de Plovan n'aura pas l'heur de suivre le brillant parcours de son condisciple. Lorsqu'il quitte Plovan en août 1914, Noël Jézéquel, qui ne s'est pas fait prier pour suivre le conseil du vieux chanoine Paul Peyron (1842-1920) – « qu'il prenne beaucoup de temps pour mener son travail à bout » –, laisse derrière lui un travail historique en chantier. Peut-être pense-t-il revenir à Plovan une fois les hostilités finies. La guerre en décide autrement. Après avoir été placé, au début du conflit, comme prêtre auxiliaire à Plozévet puis à Plouhinec, il est mobilisé en qualité d'infirmier militaire. Le recteur Maréchal retrace la suite de son parcours dans son journal :

 « Dès octobre 1914, Mr le vicaire avait été appelé à Brest comme infirmier de l'armée, auxiliaire. Ensuite il a été versé dans le service actif, à Mantes puis sur le front dans une ambulance. Le mardi 3 avril 1917, Mr le recteur reçoit de l'armée la lettre suivante :

« Le 27 mars 1917,

Mon cher ami,   

J'ai le regret de t'annoncer la mort de ton ancien vicaire Noël Jézéquel. Il a été atteint, le 24 mars, par un obus tombé sur son ambulance, installée au collège St Charles de Chauny. Il avait trois perforations de l'intestin et a succombé, hier 26 mars, à ses blessures.

Il est mort dans les sentiments les plus édifiants, après avoir reçu les sacrements de l'Eglise.

Il a été l'objet de la citation suivante : « Jézéquel Noël, Laurent, soldat de 2e classe, ambulance 2/61. Bon infirmier, courageux et dévoué, a été très grièvement blessé en service, au cours du bombardement de l'ambulance 2/61, le 24 mars 1917. »

Je ne me rappelle pas au juste la paroisse d'origine de Jézéquel. Voudrais-tu prévenir le recteur de cette paroisse et la famille ?

Jézéquel est enterré dans le cimetière communal de Chauny.

Bien à toi en N. S.

Adolphe Bellec, aumônier. »

Mr Jézéquel avait 38 ans, était prêtre depuis 11 ans et avait été nommé vicaire de Plovan le 3 février 1909. Requiescat in pace ! Nous chantons son enterrement à Plovan le jeudi 19 avril. »

La guerre prive ainsi Plovan de son apprenti historien. Guère plus versé dans les études historiques que son défunt vicaire, Jean-Marie Maréchal ne s'emploie pas à achever la notice historique entamée par Noël Jézéquel. Tout juste se contente-t-il d'ajouter, après 1928, quelques lignes concernant la chapelle de Languidou. Du plan imposé par le diocèse, seul le premier point (« description topologique ») a finalement été traité !

 
II – Un texte inédit, entre histoire et tradition orale

Voici la transcription des sept pages manuscrites, formant l'embryon de notice historique de la paroisse de Plovan :
 
« Partie historique
I. La paroisse
1. Description topologique – Limites, division ancienne en trèves, cordelées ou fréries. Nomenclature des villages, des cours d'eaux, des moulins, des manoirs. – Productions : aperçu sur l'industrie ou l'agriculture. – Curiosités naturelles – Monuments mégalithiques : dolmens, menhirs, etc. Traces de l'occupation romaine : camps, villas et bains.
 
(a) Limites.
La paroisse de Plovan est bornée au nord par Pouldreuzic, au sud par Tréogat, à l'est par Tréogat et Peumerit, à l'ouest par l'océan Atlantique.
 
(b) Nomenclature des villages.
1° Du côté de la mer, au bas de la paroisse, nous rencontrons les villages suivants : Brénévelec, Kergalen, Cruguen, Crumuny, Pratbolc'h, Kersthéphan, Ruveïn, Guellen, Palud, Nizélec, Kergüen, Stank-liou, Kerguelen, Kervardès, Palud, Palud-Trébanec, Trébanec, Kerlaben, Kervon, Ty-Tossel, Gronvel, Kergolastre, Cornlan, Kergurun-Vian, Lesvez, Kergu Kersthephan-Vian, Kergurun-Vras, Cotty, Crugou, Kerléouguy, Pompouillec, Renongard-Vian, Renongard-Vras, Kergoff, Toulancavel, Fouillic, Trébanec huela, Secret [sic], Kerdrezec, Viny, Keroualen, Kerouintin, Kernevez, Lestreguellé-Vian, Kerevet, Ty-Corn, Kerliven, Prat-ar-Groès, Mindévet, Tréménec, Ty-an-Traon.
2° Au haut de la paroisse : Kerbroher, Kervizon, Kerautret, Keryanou, Lestreguellé, Keryéré Névez, Penfrajou, Keryéré an Traon, Keryéré-al-Laë, Kervouyen, Sent, Kergroës, Cudennec, Lesnarvor, Pencleuziou, Kerzouron-Vras, Kerzouron-Vian, Kerlavantec, Kerneulc'h, Papérès, Charnellou, Pont-Dévet, Keryouen, Trusquennec, Pontécrez, Brémel, Meil-ar-Moan, Ty-Broc'h, Land-Guido-al-Laë, Croas-Pilo, Trefrank, Brezigon, Kergua, Lavanet Bras, Lavanet-Bian, Kerscaven, Pond-Land, Ty-Land, Tynancien, Kerviel, Kerglobe, Keryan, Lannouris, Meil-Herry, Land-Guido-an-Traon, Roz, Kerdrubuill, Ramage, Keruen.
Le bourg.
 
(c) Cours d'eaux et étangs.
La paroisse de Plovan possède six étangs au bord de la grève et qui ne sont séparés de la mer que par un banc de galets.
1° Le plus considérable de ces étangs est celui de Kergalen. Il occupe une soixantaine d'hectares. Cet étang est appelé vulgairement loc'h Cassard. Il y a une trentaine d'année, M. Cassard entreprit de dessécher cet étang. Il y réussit du moins en partie et y cultiva des légumes.
Aujourd'hui les tuyaux qui servaient à dessécher l'étang sont complètement détruits, de sorte que les eaux stationnent de nouveau.
L'étang de Kergalen est alimenté par la rivière de St Quido. Cette rivière sépare la paroisse de Plovan de celle de Tréogat et de Peumeurit. De l'autre coté de cette rivière, Plovan possède les deux villages de Kerjean. Ces deux villages dépendaient autrefois de la paroisse de Tréogat. Mais en temps d'épidémie, le desservant de Tréogat refusa d'administrer ses ouailles. Celles-ci s'adressèrent au clergé de Plovan qui se mit à leur disposition. Depuis lors, les habitants de ces deux villages ont continué à demander au clergé de cette paroisse le secours des sacrements et en sont les paroissiens. L'étang de Kergalen et le ruisseau de St Quido avec toute sa vallée jusqu'à une certaine distance au delà de la chapelle devait former autrefois un bras de mer. Ce bras de mer s'appelait l'Arvor. Il a donné son nom au vieux manoir de Lesnarvor. Depuis la construction de la chapelle, on l'a appelé la rivière de St Quido.
Le port de St Quido semble avoir été très fréquenté : ce qui en rend témoignage c'est l'existence d'un vieux chemin qui va directement de St Quido à Pouldavid. Les deux ports de Douarnenez et de St Quido paraissent donc avoir été en relation l'un avec l'autre.
On a trouvé des anneaux dans les rochers qui bordent cette vallée. Ces anneaux devaient servir à attacher les bateaux.
Aujourd'hui les galets empêchent la mer de pénétrer dans la rivière de St Quido, d'arriver jusqu'à la chapelle. On ne sait au juste à quelle date s'est formé ce rempart de galets qui arrête la mer. On raconte
[blanc]
2° L'étang du Guellen est alimenté par le Vouës qui a donné son nom à Lesvez.
3° L'étang de Kerguen est alimenté par le Guellé qui a donné son nom au village de Lestréguellé.
4° L'étang de Kervardès est alimenté par la source puissante du village de Kernevez.
5° L'étang de Feunteun-Vero est alimenté par une fontaine du même jour et qui est aussi très puissante.
6° L'étang de Penhors est alimenté par le ruisseau appelé Lau qui sépare Plovan de Pouldreuzic.
Tous ces étangs jettent leurs eaux à travers dans l'océan à travers les galets.
 
(d) Moulins et manoirs.
La paroisse de Plovan possède deux moulins à eau : le moulin de Meil-Herry et le moulin de Meil-Poul-Land et les moulins à vent de Land-Guido, Kerautret, Lesvez, Pompouillec.
Les manoirs occupés aujourd'hui par des cultivateurs sont les manoirs de Tréménec, de Kerguelen-Vras, de Lesnarvor.
Ces manoirs sont d'un style assez modeste.
 
(e) Production : aperçu sur l'industrie et sur l'agriculture.
À Plovan, on cultive le blé (froment, seigle, orge), la pomme de terre et les petits pois. Cette dernière culture est une très grande ressource pour la paroisse.
Au nord de À l'est de la paroisse, il y a des villages qui ont beaucoup de pommiers : ils font certaines année[s] une certaine quantité de barriques de cidres.
 
 
(d) Curiosités naturelles. – Monuments mégalithiques : dolmens, menhirs, etc. – Traces de l'occupation romaine : camps, villas et bains.
Plovan possède quelques monuments druidiques. Le plus célèbre est le tumulus de Crugou. C'est un amoncellement de terre sous lequel il y a une galerie faite de grosses pierres plates. C'est là probablement qu'on exécutait les criminels. C'est là qu'on pendait les coupables. Aussi le nom du village porte le nom de Crugou, Crougou, Crouga qui veut dire pendre.
Plovan possède à marée basse une magnifique plage couverte de sable fin.
Un fait curieux a été constaté il y a quelques années : à marée basse, le sable qui couvre la plage, ayant été enlevé par la mer, on a vu devant le village de Kervardes, l'autre coté des galets, un chemin allant droit à la mer. Les ornières étaient très apparentes, on a rencontré des vestiges de fossé sur lesquels il y avait des souches d'arbres noircies mais encore bien conservées.
Un énorme ban de galets longeant toute la côte protège la terre contre les hautes marées.
Languido
La chapelle de Land-Guido
Le style de la chapelle en ruines de Land-Guido est celui de l'époque du XII siècle. Sur un tailloir qui se trouve à terre on peut déchiffrer l'inscription suivante : « Guillelmus canonicus et Ivo de Revesco aedificaverunt istam ecclesiam ».
La chapelle possède une jolie rose Le chanoine Guillaume est indiqué comme étant attaché à la cathédrale de Quimper de 1162 à 1166 (cartulaire de la cathédrale
La chapelle possède une jolie rosace du XVe siècle. Les piles colonnes et les arcades sont du style de l'église de Pont-Croix. Cette chapelle est classée comme monument historique.
La chapelle de Land-Guido doit être une des premières églises bâties dans ce coin de terre.
 
Cette chapelle a du être une église de monastère : à 150 mètres ou à 200 de la chapelle, on a trouvé dans une garenne les ruines d'une petite chapelle ou cellule et qui s'appelle Penity c'est-à-dire ti-Pinijen. Les anciens monastère possédaient de ces cellules isolés, destinés à loger soit des coupables ou des reclus volontaires.
Cette église a été bâtie probablement par des moines venus de la Grande Bretagne.
La tradition raconte que dans un temps bien plus rapproché de nous que son origine, l'église de Land-Guido desservait Tréguennec, Tréogat et Plovan : on trouve encore les traces d'un vieux chemin qui va pour ainsi dire directement de Land-Guido au vieux bourg de Tréguennec en traversant la paroisse de Tréogat.
[complément de la main du recteur Maréchal :]
Dans les temps anciens, Languido devait être baigné par la mer. Les prairies qui se trouvent entre Tréogat et Plovan étaient le lit d'une rivière. Et la mer devait monter jusqu'à Lesnarvor. Ce sont les galets et le sable de la mer qui ont fermé l'entrée de la rivière devant l'étang de Kergalan. M. l'abbé Cabillic, de Plouhinec, vicaire à Marseille, me disait (en 1928) que les navires de Poulgoazec lorsqu'ils viennent à la pêche devant Plovan, appellent toujours ce lieu de pêche « Porz-Quido » – donc dans le temps, à Languido, il y avait un port – et il me disait aussi que son père, navigateur, a vue des cartes de marine, où le port et la rivière de Languido était [sic] bien marqués. »
 
*
 
Ici s'achève cette amorce d'histoire de Plovan composée par Noël Jézéquel vers 1912-1914. Si on se livre à un rapide commentaire de son travail, on ne peut que regretter son caractère inachevé. Tout d'abord, il serait injuste de lui tenir rigueur d'une série d'affirmations (sur la datation des ruines de Languidou ; sur l'association des mégalithes et des druides...) que l'on sait aujourd'hui périmées mais qui ne sont que le reflet des certitudes historiques des années 1910. Rappelons modestement qu'il en sera probablement de même de nos propres certitudes d'ici à 2117 ! L'intérêt du travail de Jézéquel réside à nos yeux surtout dans le travail de collecte de traditions orales alors en vigueur : sur le prétendu port de Languidou (qui n'a, à notre humble avis, jamais existé, ou n'a été tout au plus qu'un petit havre d'échouage) ; sur les noms donnés aux ruisseaux traversant la commune ; sur l'origine du lien entre le village de Kerjean et la paroisse de Plovan ; sur l'étymologie (inexacte !) du nom du village du Crugou ; sur l'entreprise d'assèchement de l'étang de Kergalan par Jean-Baptiste Cassard dans les années 1880, etc.

Il ne dit rien de l'identité de ses sources, usant à foison des pronoms indéfinis et des formules vagues : «  on a trouvé... », «  on raconte... », « la tradition raconte... ». D'après le recensement de 1911, Plovan ne comptait alors qu'une poignée d'anciens (4 octogénaires et 31 septuagénaires, pour une population de 1 587 habitants). Nés dans les années 1830 et 1840, ils ont pu connaître dans leur enfance des hommes et des femmes nés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle...! Est-ce cette mémoire qu'on touche un peu du doigt dans le travail de Jézéquel ? On ne peut que regretter qu'il n'ait pas poussé sa démarche plus loin.
 
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Lorsqu'au début des années 1930, Henri Pérennès s'intéresse à son tour à l'histoire de la paroisse afin d'écrire la monographie que lui a commandé le recteur Maréchal, Plovan et sa chapelle de Languidou, il ne s'appuie pas sur la tradition orale locale. Vingt ans sont passés depuis la rédaction de la notice inachevée de Jézéquel et les témoins qu'il avait interrogés ont rejoint leur créateur, emportant avec eux des histoires plus ou moins légendaires attachées à leur terre natale. La démarche des deux hommes n'est véritablement pas la même : d'un côté, Jézéquel, historien contraint, faisant appel, pour autant qu'on puisse en juger et peut-être faute de mieux, à une culture orale et populaire ; de l'autre, Pérennès, historien plus chevronné, rompu à l'art de transcrire les documents d'archives et à l'analyse des vieilles pierres, incarnation d'une culture dite savante. Certains coins de Bretagne ont eu la chance d'attirer, parfois dès les années 1810 et jusqu'à une période récente, des collecteurs de mémoires (histoires, chants, légendes, contes...), d'abord aristocrates (Barbe-Émilie de Saint-Prix, Joseph-François de Kergariou, Théodore Hersart de La Villemarqué, Jean-Marie de Penguern...), parfois hommes d'Église (François Cadic, Jean-Marie Perrot, Henri Guillerm...). Hormis le modeste travail de l'abbé Jézéquel, ce ne fut pas le cas à Plovan. Qui pouvait se douter qu'en lançant une vaste collecte de témoignages oraux sur les écoles de la commune, l'Association du Patrimoine renouait avec une tradition initiée cent ans auparavant  par un historien précurseur qui s'ignorait ?
  
Mathieu GLAZ