« La ligne jouait à
saute-moutons entre vallons et éminences, se perdait dans la
touffeur du bocage avant, sur les hauteurs, de dominer le grand arc
de cercle de la baie d'Audierne, alternait les plongées dans la
verdure et les lumineuses échappées sur la mer... ». Serge Duigou, dans
son ouvrage Quand s'essoufflait le train carottes aux éditions
Ressac, nous donne envie de le connaître ce petit train pourtant
mal né et trop vite disparu. Contestée par les
uns puis par les autres, de modifications de parcours en
modifications, souvent sous la pression des plus influents, la ligne
était ouverte le 1er octobre 1912.
Reliant
Pont-l'Abbé à Audierne en passant par Pont-Croix, son rôle
principal était de transporter les récoltes de légumes vers les
conserveries, d'où les noms de train carottes ou patates. Le
parcours de 35 kilomètres entre Pont-l'Abbé et Pont-Croix était
couvert en 114 minutes à la moyenne de 18 km/h. Ce train nous apparaît avec le recul mal conçu, mal né, à un mauvais
moment (deux ans avant la guerre) et trop vite concurrencé par
l'automobile.
Carte de 1924 |
Pourtant, en ne transportant des
voyageurs que durant vingt deux ans, ce gentil tortillard a laissé
son image dans l'esprit de tous. Pourquoi ce souvenir gentiment
affectueux ? Serge Duigou dans son ouvrage, répond
à cette question : « Le pittoresque était au rendez-vous, pimenté de surcroît d'un brun de suspense. Chaque rampe un peu abrupte prenait des allures de défit, d'épreuve à surmonter? Arrivera, arrivera-ty-pas ? Un train qui alliait l'émotion de l'inconnu à la beauté du paysage, on comprend qu'il ait marqué les esprits ».
Il rappelle aussi ce que Pierre Jakez Hélias a écrit à ce propos dans Le cheval d'orgueil : « Le train coupe les routes et les chemins sans
autre forme de procès. Il brinquebale à la lisière des champs. Au
bas de la levée qui porte le chemin de fer, il y a toujours quelque
petit vacher à plat ventre qui ouvre la bouche sur neuf heures,
quelques fillettes aux bras chargés de digitales qui rougissent de
confusion. Le cheval noir siffle pour leur faire plaisir autant que
pour avertir je ne sais qui de je ne sais quoi... ».
Autre témoignage, celui de Monsieur Le Corre de Pouldreuzic cité dans l'ouvrage de Serge Duigou : « Le train c'était pour nous un spectacle [...] Le
train faisait partie de notre vie, quand bien même on ne le prenait
jamais. Les gens réglaient leur montre sur son passage ; s'il
avait dix minutes de retard, tout le canton prenait du retard... ».
Les contemporains du train, même s'ils
ne l'avaient pas utilisé se souviennent d'anecdotes relatives à son
sifflet, ses problèmes avec les côtes, anecdotes qu'on leur avait
raconté.
De Tréogat à Pouldreuzic en 1920
L'Association du Patrimoine de Plovan est partie sur les traces du train carottes de Tréogat à Pouldreuzic, retrouvant, perdues dans la végétation, des ouvrages surprenants, très bien conservés.
Le train venant de Plonéour traverse
la route et descend vers Tréogat (→)
en longeant la voie routière pour franchir le ruisseau coulant vers
l'étang de Trunvel sur un pont commun (→).
(1) Descente vers Tréogat |
(2) Pont GC2 |
Après être passé devant Lesvagnol,
il oblique en direction de la gare de Tréogat. Il longe l'école
actuelle, coupe la route menant à Plovan pour s’arrêter à la
station (→).
(3) Gare de Tréogat |
Sortant du bourg, il arrive sur la commune de Peumerit en frôlant Kergoulou. Suivant la longue levée haute de plusieurs mètres, indispensable sur cette zone marécageuse et inondable (en 1936, le maire de Plovan expose au conseil municipal avoir reçu plusieurs réclamations et plaintes de riverains qui se trouvaient sérieusement menacés par l'eau de l'étang de Kergalan qui avait envahi toute la vallée entre Plovan et Tréogat, jusqu'au village de Pont-Dévet distant de l'étang de 6 km environ), le voici sur le territoire de Plovan à hauteur du moulin de Pontalan. Il franchit le cours d'eau qui dévale vers l'étang de Kergalan sur un petit pont (→).
(4) Le pont de Plovan |
Ce
pont est un ouvrage surprenant, aujourd'hui envahi par la
végétation, mais remarquablement bien conservé. Félix Droval nous expliquait que « les ouvriers chargés de la
construction de la voie avaient rencontré beaucoup de difficultés
à cet endroit. Ils avaient creusé jusqu'à 4 mètres de
profondeur pour assurer les fondations, découvrant là des galets
marins » (entretien d'anciens élèves de l'école de
Plovan).
Laissant à sa gauche Kerscaven, il
s'annonce bruyamment en arrivant devant la halte de Pont-Devet (→)
dont il repart vers Pouldreuzic en coupant la seconde route qui
conduit à Plovan.
(5) Halte de Pont-Devet à Plovan |
Il ralentit avant
de passer la voie qui conduit à Penhors et pénètre dans le bourg,
pour s'arrêter devant la gare à la hauteur de l'usine Hénaff.
L'arrêt est important car le chauffeur, le mécanicien et le chef de
train font le plein de la machine en eau et charbon, puis le leur au
bistrot de la gare.
(6) Station de Pouldreuzic |
Après cet intermède, le train
carottes repart vers Plozévet sur un parcours accidenté, passe sur
le pont à côté de Trégonéter (→)
saluant au passage le Lapin Bleu et s'éloigne en direction
d'Audierne.
(7) Pont de Trégonéter |
Plovan et le train carottes
Les archives
municipales ont apporté des renseignements sur les relations entre
la Compagnie des Chemins de fer départementaux du Finistère et la
municipalité de Plovan.
Le 1er octobre 1912, Jean Marzin note « passage
du train le 1er octobre : vitesse 18 km/h ». Le train circule,
mais pour les voyageurs de Plovan, la situation n'est pas idéale en
cette fin d'année 1912. Imaginons un candidat au voyage
désireux de tenter l'aventure. Il se rend à Pont Devet, lieu situé
en plein bois où il doit guetter le passage du convoi debout au
bord de la voie, puisqu'il n'y a pas d'abri, et cela par tous les
temps.
L'emplacement de la voie ferrée à Pont-Devet |
Il ne doit pas, bien sur, oublier de faire signe au conducteur, l'arrêt étant facultatif.
La
municipalité s'inquiète de cette situation et, le 1er octobre
1912, délibère : « Sur la
proposition de Mr Le Maire, le conseil considérant la somme
relativement élevée votée pour la construction d'une halte-abri à
la gare de Plovan, sollicite le cas échéant et une fois les travaux
terminés, le retour à la commune de l’excédent qui pourrait se
produire. En outre, considérant la difficulté pour les voyageurs
illettrés ne comprenant que la langue bretonne d'avertir le chef de
train de faire arrêter à la station dudit lieu ; considérant
qu'un oubli est possible à tout le monde et que, par suite, dans la
nuit, on est transporté soit à Tréogat, soit à Pouldreuzic, selon
la direction du train, émet le vœu que l'arrêt facultatif devienne
réel et obligatoire ».
En
février 1914, nouvelle intervention : « Mr
Le Président [du conseil municipal] fait observer que la halte-abri à la gare de Plovan,
sollicitée par la population et dont les fonds ont été entièrement
votés par le conseil, tarde à faire preuve de son existence. Le
conseil ne comprenant pas une pareille négligence émet le vœu que
Mr Le Préfet fasse faire les démarches nécessaires auprès de la
compagnie pour hâter les travaux dudit bâtiment tant attendu. »
Enfin,
en janvier 1915, Plovan peut disposer de sa halte-abri :
Autre gros problème : les horaires. Aucune proposition ne
convient : à la session de février 1916, « l'attention
du conseil a été appelée sur le changement apporté à l'horaire
des trains se dirigeant de Quimper sur Pont-L'Abbé et rendant à peu
près impossible le retour de Quimper par le train pour la commune et
pour les autres communes desservies par la ligne de Pont-l'Abbé à
Audierne... Attendu que cet état de choses crée des difficultés
pour les déplacements et les voyages, surtout à ce moment où les
moyens de locomotion sont plutôt rares et où les personnes de la
campagne, ayant peu de chevaux... ont intérêt à se servir des
lignes ferrées... Et
sollicite le rétablissement du train de 21h30 pour faciliter l'arrivée des permissionnaires dans leur famille. ».
En février 1918, le
conseiller Corentin Goanec attire l'attention en signalant la défectuosité que présente la voie ferrée à deux
endroits : « M.
Goanec signale la défectuosité que présente la voie ferrée aux
deux endroits où elle coupe la route Plovan-Tréogat : près de
la gare de Tréogat et près de celle de Plovan. Le conseil décide
qu'une demande sera adressée à Mr Le Préfet pour le prier de faire
près la Compagnie les démarches nécessaires pour que la commune
obtienne satisfaction. ».
Après
1918 les relations entre la municipalité de Plovan et le train
carottes semblent aussi distantes que la halte l'est par rapport au
bourg de la commune. De plus, les difficultés pour obtenir cet arrêt
obligatoire ajoutées aux problèmes d'horaires, peuvent expliquer
l'absence d'intérêt dans les délibérations municipales après
cette date.
Au mois d'août
1931 le conseil refuse l'augmentation des tarifs : « Monsieur
le Maire soumet au conseil le dossier présenté par la compagnie de
chemins de fer tendant aux relevences des tarifs de transports ;
après un vote secret et à la majorité, le conseil donne avis
défavorable, considérant que le prix qui est actuellement en
vigueur est assez élevé. ». Fin 1934, le service voyageur est supprimé : le train carottes ne sifflera plus !
Le train carottes |
Le 29 septembre 1942, la municipalité achète la portion plovanaise de la voie ferrée : « Monsieur le maire donne lecture au conseil de la lettre de
Mr Le Préfet du Finistère en date du 12 août 1942 concernant la
vente de la voie ferrée d'intérêt local de Pont-l'Abbé à
Pont-Croix (la voie, le ballast et les bâtiments).
Considérant que la plate-forme de la voie peut être utilisée et
que le ballast est nécessaire pour l'entretien des chemins de la
commune
Décide d'acquérir aux conditions fixées par la lettre
préfectorale le ballast et la voie située sur l'étendue de la
commune, d'une longueur de 1615 mètres et sous réserve du
prix fixé par les Ponts et chaussées, la halte et son terrain
d'accès
Prends l'engagement d'affecter à un service public les
terrassements à acquérir dont il s'interdit la revente. »
En 1943, aliénation... : « Mr
Le Maire expose au conseil que le bureau départemental a décidé
l'aliénation au profit de la commune de la station de Plovan et ses
dépendances provenant de la ligne déclassée des chemins de fer
départementaux de Pont-L'Abbé à Pont-croix au prix fixé par Mrs
les Ingénieurs du service des Ponts et Chaussées soit 4500
francs ».
Tracé du train selon les relevés cadastraux et la carte IGN de 2000 |
René LOZACH