Rechercher dans ce blog

lundi 4 août 2014

Conférence de Pierre Gouletquer : un monde minéral et vivant, une brèche dans le cordon de galets

L'Association du Patrimoine de Plovan vous invite à la conférence de Pierre Gouletquer "Un monde minéral et vivant ; une brèche dans le cordon de galets de Plovan-Tréogat". Jeudi 7 août 2014 à 20h30, salle polyvalente à Plovan. Entrée gratuite.


Le 2 janvier 2014, le « mur » de galets a cédé à Plovan sous la pression des étangs de Kergalan et de Trunvel en crue. Quelques jours plus tard, l'ampleur de la brèche était telle que les visiteurs désolés disaient qu'il faudrait plusieurs années avant que celle-ci se referme... si elle se refermait jamais. Ceux qui se souvenaient de l'époque où les riverains ouvraient volontairement le cordon de galets afin de vidanger l'étang étaient plus optimistes : la brèche se colmaterait lors des grandes marées à venir.
 
Les uns et les autres se trompaient. Les premiers par ignorance de l'effet des marées sur la dynamique de la plage, les seconds parce qu'ils ne pouvaient tenir compte des violentes dépressions et des abondantes précipitations qui allaient se succéder quatre mois durant et retarder le processus qui leur était familier. Du début janvier à la mi-avril la mer et la crue allaient brasser les sédiments, se contrariant sans cesse. L'une pour qu’ils reprennent leur place de « ligne de côte », l'autre pour se frayer un passage vers la plage.
 
Dans le contexte confus du réchauffement climatique et de la menace de surélévation du niveau des mers, cet événement n'a pas seulement ébranlé un supposé « rempart » naturel qui protègerait les palues de l'océan. En fournissant un exemple local qui semblait justifier les craintes, il a mis à mal l'image de stabilité qui nous rassure lorsque l'on retrouve chaque jour un paysage inchangé. Il a ébranlé notre imaginaire en nous projetant dans l'univers instable des légendes de villes englouties et des gwerz oubliées : certains imaginaient déjà que les bateaux pourraient bientôt remonter l’estuaire jusqu’aux ruines de Languidou.
 
Les observations que nous avons pu faire n'ont rien de scientifique. 113 visites sur le terrain de début janvier à fin avril, plus de 3000 photos complétées par celles prises par les visiteurs occasionnels ainsi que quelques courtes vidéos, les notes parfois approximatives, prolongées par les observations et les réflexions des uns et des autres ont permis de se convaincre que ce patrimoine n'est pas un « mur », une « digue » ou un « rempart », mais bien le dynamisme jamais en repos de ce que l'un des visiteurs a pu qualifier de « monde minéral mais vivant ».
 
Le moment est venu de rendre compte de ces observations et d'en dresser le bilan.
 
Pierre GOULETQUER

dimanche 6 juillet 2014

Conférence de Clément Nicolas : la flèche et le chef

Comme chaque année à la mi-juillet, l'Association du patrimoine de Plovan vous invite à venir assister à sa conférence estivale. Après le Togo et les idoles vaudous l'an passé, retour à la Préhistoire. L'archéologue Clément Nicolas se propose de nous présenter, à travers un symbole du pouvoir à l'âge du Bronze ancien : les flèches, la place des chefs dans l'organisation sociale de cette lointaine période. Rendez-vous le mardi 15 juillet à 20h30 à la Salle polyvalente (entrée : 3 euros).


Ci-dessous, une présentation de la conférence de M. Nicolas :

« Ces flèches en silex sont d’une perfection de forme et d’exécution inégalées. Loin d’être des armes communes pour la chasse et la guerre, elles semblent avoir constitué des objets de prestige strictement réservés aux chefs. Comment ces armatures ont-elles été produites ? Quelles étaient leurs fonctions ? Tels sont les deux questions auxquelles nous tenterons de répondre grâce à l’étude des stigmates de la taille du silex, l’expérimentation et l’analyse des usures laissées par leur utilisation. Les contextes exceptionnels de découverte nous permettront alors de retracer les multiples vies de ces objets.

L’âge du Bronze ancien en Basse-Bretagne (2150-1650 av. notre ère) est essentiellement connu par plus d’un millier de tombes recouvertes ou non d’un tumulus. Parmi ces sépultures, certaines se distinguent par la monumentalité de leur caveau et de leur tertre et un mobilier funéraire particulièrement abondant, dont la largesse n’a guère d’équivalent en Europe occidentale. Ces tombes peuvent livrer jusqu’à une dizaine de poignards en bronze et divers objets exotiques (en ambre balte notamment), témoins de la mainmise sur une métallurgie parfaitement maîtrisée ainsi que le contrôle de réseaux d’échanges à longue distance. Sans négliger l’attrait pour le métal, une technologie nouvelle et en plein essor, les élites armoricaines semblent avoir manifesté leur pouvoir dans la possession de pointes de flèches en silex.

Au travers des flèches, nous nous interrogerons enfin sur la place des chefs dans la société de l’âge du Bronze ancien. Quelles étaient les sources de leurs pouvoirs ? Comment ceux-ci géraient-ils leurs territoires ? Les découvertes anciennes et récentes nous suggèrent l’existence d’une société complexe, parfaitement organisée et dont la monumentalité funéraire n’est que la partie émergée d’une occupation particulièrement dense des territoires, eux-mêmes inscrits dans la géographie historique de la Basse-Bretagne.

Clément NICOLAS
Post-doctorant, UMR 8215 Trajectoires »

samedi 7 juin 2014

Le train carottes à travers Tréogat, Plovan et Pouldreuzic

« La ligne jouait à saute-moutons entre vallons et éminences, se perdait dans la touffeur du bocage avant, sur les hauteurs, de dominer le grand arc de cercle de la baie d'Audierne, alternait les plongées dans la verdure et les lumineuses échappées sur la mer... ». Serge Duigou, dans son ouvrage Quand s'essoufflait le train carottes aux éditions Ressac, nous donne envie de le connaître ce petit train pourtant mal né et trop vite disparu. Contestée par les uns puis par les autres, de modifications de parcours en modifications, souvent sous la pression des plus influents, la ligne était ouverte le 1er octobre 1912.

Reliant Pont-l'Abbé à Audierne en passant par Pont-Croix, son rôle principal était de transporter les récoltes de légumes vers les conserveries, d'où les noms de train carottes ou patates. Le parcours de 35 kilomètres entre Pont-l'Abbé et Pont-Croix était couvert en 114 minutes à la moyenne de 18 km/h. Ce train nous apparaît avec le recul mal conçu, mal né, à un mauvais moment (deux ans avant la guerre) et trop vite concurrencé par l'automobile.

Carte de 1924


Pourtant, en ne transportant des voyageurs que durant vingt deux ans, ce gentil tortillard a laissé son image dans l'esprit de tous. Pourquoi ce souvenir gentiment affectueux ? Serge Duigou dans son ouvrage, répond à cette question : « Le pittoresque était au rendez-vous, pimenté de surcroît d'un brun de suspense. Chaque rampe un peu abrupte prenait des allures de défit, d'épreuve à surmonter? Arrivera, arrivera-ty-pas ? Un train qui alliait l'émotion de l'inconnu à la beauté du paysage, on comprend qu'il ait marqué les esprits ».
Il rappelle aussi ce que Pierre Jakez Hélias a écrit à ce propos dans Le cheval d'orgueil : « Le train coupe les routes et les chemins sans autre forme de procès. Il brinquebale à la lisière des champs. Au bas de la levée qui porte le chemin de fer, il y a toujours quelque petit vacher à plat ventre qui ouvre la bouche sur neuf heures, quelques fillettes aux bras chargés de digitales qui rougissent de confusion. Le cheval noir siffle pour leur faire plaisir autant que pour avertir je ne sais qui de je ne sais quoi... ».
Autre témoignage, celui de Monsieur Le Corre de Pouldreuzic cité dans l'ouvrage de Serge Duigou : « Le train c'était pour nous un spectacle [...] Le train faisait partie de notre vie, quand bien même on ne le prenait jamais. Les gens réglaient leur montre sur son passage ; s'il avait dix minutes de retard, tout le canton prenait du retard... ».
Les contemporains du train, même s'ils ne l'avaient pas utilisé se souviennent d'anecdotes relatives à son sifflet, ses problèmes avec les côtes, anecdotes qu'on leur avait raconté.  


De Tréogat à Pouldreuzic en 1920

L'Association du Patrimoine de Plovan est partie sur les traces du train carottes de Tréogat à Pouldreuzic, retrouvant, perdues dans la végétation, des ouvrages surprenants, très bien conservés. 


Le train venant de Plonéour traverse la route et descend vers Tréogat () en longeant la voie routière pour franchir le ruisseau coulant vers l'étang de Trunvel sur un pont commun ().

(1) Descente vers Tréogat


(2) Pont GC2

Après être passé devant Lesvagnol, il oblique en direction de la gare de Tréogat. Il longe l'école actuelle, coupe la route menant à Plovan pour s’arrêter à la station ().

(3) Gare de Tréogat


Sortant du bourg, il arrive sur la commune de Peumerit en frôlant Kergoulou. Suivant la longue levée haute de plusieurs mètres, indispensable sur cette zone marécageuse et inondable (en 1936, le maire de Plovan expose au conseil municipal avoir reçu plusieurs réclamations et plaintes de riverains qui se trouvaient sérieusement menacés par l'eau de l'étang de Kergalan qui avait envahi toute la vallée entre Plovan et Tréogat, jusqu'au village de Pont-Dévet distant de l'étang de 6 km environ), le voici sur le territoire de Plovan à hauteur du moulin de Pontalan. Il franchit le cours d'eau qui dévale vers l'étang de Kergalan sur un petit pont ().

(4) Le pont de Plovan


Ce pont est un ouvrage surprenant, aujourd'hui envahi par la végétation, mais remarquablement bien conservé. Félix Droval nous expliquait que « les ouvriers chargés de la construction de la voie avaient rencontré beaucoup de difficultés à cet endroit. Ils avaient creusé jusqu'à 4 mètres de profondeur pour assurer les fondations, découvrant là des galets marins » (entretien d'anciens élèves de l'école de Plovan).
Laissant à sa gauche Kerscaven, il s'annonce bruyamment en arrivant devant la halte de Pont-Devet () dont il repart vers Pouldreuzic en coupant la seconde route qui conduit à Plovan.

(5) Halte de Pont-Devet à Plovan


Il ralentit avant de passer la voie qui conduit à Penhors et pénètre dans le bourg, pour s'arrêter devant la gare à la hauteur de l'usine Hénaff. L'arrêt est important car le chauffeur, le mécanicien et le chef de train font le plein de la machine en eau et charbon, puis le leur au bistrot de la gare.

(6) Station de Pouldreuzic


Après cet intermède, le train carottes repart vers Plozévet sur un parcours accidenté, passe sur le pont à côté de Trégonéter () saluant au passage le Lapin Bleu et s'éloigne en direction d'Audierne.

(7) Pont de Trégonéter



Plovan et le train carottes


Les archives municipales ont apporté des renseignements sur les relations entre la Compagnie des Chemins de fer départementaux du Finistère et la municipalité de Plovan. 
Le 1er octobre 1912, Jean Marzin note « passage du train le 1er octobre : vitesse 18 km/h ». Le train circule, mais pour les voyageurs de Plovan, la situation n'est pas idéale en cette fin d'année 1912. Imaginons un candidat au voyage désireux de tenter l'aventure. Il se rend à Pont Devet, lieu situé en plein bois où il doit guetter le passage du convoi debout au bord de la voie, puisqu'il n'y a pas d'abri, et cela par tous les temps.

L'emplacement de la voie ferrée à Pont-Devet



Il ne doit pas, bien sur, oublier de faire signe au conducteur, l'arrêt étant facultatif.



La municipalité s'inquiète de cette situation et, le 1er octobre 1912, délibère : « Sur la proposition de Mr Le Maire, le conseil considérant la somme relativement élevée votée pour la construction d'une halte-abri à la gare de Plovan, sollicite le cas échéant et une fois les travaux terminés, le retour à la commune de l’excédent qui pourrait se produire. En outre, considérant la difficulté pour les voyageurs illettrés ne comprenant que la langue bretonne d'avertir le chef de train de faire arrêter à la station dudit lieu ; considérant qu'un oubli est possible à tout le monde et que, par suite, dans la nuit, on est transporté soit à Tréogat, soit à Pouldreuzic, selon la direction du train, émet le vœu que l'arrêt facultatif devienne réel et obligatoire ».

En février 1914, nouvelle intervention : « Mr Le Président [du conseil municipal] fait observer que la halte-abri à la gare de Plovan, sollicitée par la population et dont les fonds ont été entièrement votés par le conseil, tarde à faire preuve de son existence. Le conseil ne comprenant pas une pareille négligence émet le vœu que Mr Le Préfet fasse faire les démarches nécessaires auprès de la compagnie pour hâter les travaux dudit bâtiment tant attendu. »

Enfin, en janvier 1915, Plovan peut disposer de sa halte-abri :



Autre gros problème : les horaires. Aucune proposition ne convient : à la session de février 1916, « l'attention du conseil a été appelée sur le changement apporté à l'horaire des trains se dirigeant de Quimper sur Pont-L'Abbé et rendant à peu près impossible le retour de Quimper par le train pour la commune et pour les autres communes desservies par la ligne de Pont-l'Abbé à Audierne... Attendu que cet état de choses crée des difficultés pour les déplacements et les voyages, surtout à ce moment où les moyens de locomotion sont plutôt rares et où les personnes de la campagne, ayant peu de chevaux... ont intérêt à se servir des lignes ferrées... Et sollicite le rétablissement du train de 21h30 pour faciliter l'arrivée des permissionnaires dans leur famille. ».

En février 1918, le conseiller Corentin Goanec attire l'attention en signalant la défectuosité que présente la voie ferrée à deux endroits : « M. Goanec signale la défectuosité que présente la voie ferrée aux deux endroits où elle coupe la route Plovan-Tréogat : près de la gare de Tréogat et près de celle de Plovan. Le conseil décide qu'une demande sera adressée à Mr Le Préfet pour le prier de faire près la Compagnie les démarches nécessaires pour que la commune obtienne satisfaction. ».
Après 1918 les relations entre la municipalité de Plovan et le train carottes semblent aussi distantes que la halte l'est par rapport au bourg de la commune. De plus, les difficultés pour obtenir cet arrêt obligatoire ajoutées aux problèmes d'horaires, peuvent expliquer l'absence d'intérêt dans les délibérations municipales après cette date.

Au mois d'août 1931 le conseil refuse l'augmentation des tarifs : « Monsieur le Maire soumet au conseil le dossier présenté par la compagnie de chemins de fer tendant aux relevences des tarifs de transports ; après un vote secret et à la majorité, le conseil donne avis défavorable, considérant que le prix qui est actuellement en vigueur est assez élevé. ». Fin 1934, le service voyageur est supprimé : le train carottes ne sifflera plus !

Le train carottes


Le 29 septembre 1942, la municipalité achète la portion plovanaise de la voie ferrée : « Monsieur le maire donne lecture au conseil de la lettre de Mr Le Préfet du Finistère en date du 12 août 1942 concernant la vente de la voie ferrée d'intérêt local de Pont-l'Abbé à Pont-Croix (la voie, le ballast et les bâtiments).
Considérant que la plate-forme de la voie peut être utilisée et que le ballast est nécessaire pour l'entretien des chemins de la commune
Décide d'acquérir aux conditions fixées par la lettre préfectorale le ballast et la voie située sur l'étendue de la commune, d'une longueur de 1615 mètres et sous réserve du prix fixé par les Ponts et chaussées, la halte et son terrain d'accès
Prends l'engagement d'affecter à un service public les terrassements à acquérir dont il s'interdit la revente. »

En 1943, aliénation... : « Mr Le Maire expose au conseil que le bureau départemental a décidé l'aliénation au profit de la commune de la station de Plovan et ses dépendances provenant de la ligne déclassée des chemins de fer départementaux de Pont-L'Abbé à Pont-croix au prix fixé par Mrs les Ingénieurs du service des Ponts et Chaussées soit 4500 francs ».

Tracé du train selon les relevés cadastraux et la carte IGN de 2000

Est-ce l'éloignement de la halte de Pont Devet, l'indifférence des habitants pour ce moyen de transport ? Toujours est-il que nous ne retrouvons pas d'intérêts passionnés de la part de la municipalité de Plovan pour le train carottes. Serge Duigou conclut dans son Histoire du Pays bigouden en expliquant que « la route va vaincre le rail, avec une sidérante rapidité. Des investissements lourds, des aménagements considérables pour un règne bien éphémère... ».


René LOZACH

vendredi 2 mai 2014

Désirée Le Bœuf, la première institutrice de Plovan

L'année 1890 voit l'inauguration à Plovan du premier groupe scolaire de la commune, un ensemble de bâtiments abritant l'école des garçons et la toute nouvelle école des filles. Après d'âpres débats, les lois Ferry de 1881-1882 sont enfin appliquées. L'école publique des filles est confiée aux soins d'une jeune enseignante de 23 ans, Françoise Désirée Le Bœuf, dont le parcours mérite qu'on s'y arrête.

L'année scolaire 2013-2014 a été décrétée année de mobilisation pour l'égalité à l'école par le ministère de l'Éducation nationale. Plusieurs enquêtes ont montré depuis quelques années que les filles obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons, qu'elles redoublent moins, que leur taux de réussite aux examens est plus élevé... mais qu'à l'heure de l'orientation elles délaissent les filières professionnelles ou scientifiques et techniques, ce qui engendre une partie des inégalités constatées ensuite dans le monde du travail. Si l'égalité réelle ne semble malheureusement pas être pour tout de suite, si notre vigilance et nos efforts doivent s'accentuer, il faut aussi mesurer les progrès accomplis depuis un peu plus d'un siècle en ce domaine. À Plovan comme ailleurs, cette marche vers l'égalité a connu un tournant décisif dans les dernières décennies du XIXe siècle avec l'ouverture d'une école primaire gratuite, laïque et obligatoire pour tous les petits français, garçons et filles. L'éducation de ces dernières a été confiée à des personnes qui allaient devenir des figures familières de la vie villageoise : les institutrices.

Classe des filles par Théophile Emmanuel Duverger, date inconnue


I. Les origines, la formation, le début de sa carrière

Françoise Désirée Le Bœuf est la première institutrice qu'a connu Plovan. Elle est née le 1er février 1867 à Banastère en Sarzeau (Morbihan), fille de Michel Joachim Le Bœuf (1831-1869), préposé des douanes, et de Mathurine Le Ridant (1837-1868), ménagère. Elle ne connaît quasiment pas ses parents puisqu'ils décèdent avant qu'elle atteigne l'âge de 3 ans : elle perd sa mère le 11 décembre 1868 puis son père le 24 décembre 1869, la veille de Noël. L'orpheline est sans doute prise en charge par quelques membres de sa famille, grands-parents maternels, oncles ou tantes, jusqu'à ses 10 ans. 
À cet âge, elle est envoyée à Saint-Germain-en-Laye comme élève à la Maison des Loges, une des trois maisons d'éducation de la Légion d'honneur, des établissements accueillant les jeunes filles pauvres ou orphelines dont le père, le grand-père ou l'arrière-grand-père a fait partie de l'ordre de la Légion d'honneur. Elle y demeure plus de 7 ans, du 7 novembre 1877 au 5 avril 1885, s'y forgeant une solide instruction.

Première distribution des croix de la Légion d'honneur, le 14 juillet 1804 par Jean-Baptiste Debret, 1812, Musée national du château de Versailles


Elle doit ce privilège à son défunt père. Né le 12 mars 1831 à Saint-Armel (Morbihan), Michel Joachim Le Bœuf était grenadier au 98e régiment d'infanterie avant de devenir préposé des douanes. Il a été fait chevalier de la Légion d'honneur, ordre créé par Napoléon Ier en 1802, par décret du 16 avril 1856. Robert Appéré, son arrière-petit-fils, nous a appris, en précisant bien que l'information était à vérifier, qu'il l'aurait reçu « pour avoir dégagé Mac Mahon blessé à la bataille de Sébastopol lors de la guerre de Crimée ». La guerre de Crimée (1853-1856) est un conflit opposant la Russie à une alliance formée par l'empire ottoman, le Royaume-Uni et la France de Napoléon III. Pour les Français, l'essentiel de cette guerre se déroule dans la péninsule de Crimée, territoire de l'empire russe (que l'actualité récente a mis sur le devant de la scène), et plus particulièrement autour de la base navale de Sébastopol. Le souvenir de cet affrontement, largement méconnu aujourd'hui, apparaît encore dans quelques noms de lieux (l'Alma, Malakoff...). Patrice de Mac Mahon (1808-1893), futur homme politique et maréchal de France, est pour lors général de division. Il s'illustre notamment lors de la prise du fort de Malakoff, le 8 septembre 1855. Comme nombre de soldats – on pense à Charles Bataille, lui aussi ancien militaire devenu préposé des douanes et aubergiste à Plovan – Michel Le Bœuf a intégré le service des douanes après l'armée et est revenu vivre dans son Morbihan natal où il a fondé une famille.

La gorge de Malakoff par Adolphe Yvon, 1859, Musée national du château de Versailles


C'est au cours de ces années parisiennes que Françoise Désirée Le Bœuf obtient son brevet élémentaire, le 12 juillet 1884. Elle intègre semble-t-il ensuite l'école normale de Quimper. Elle démarre sa carrière d'enseignante comme institutrice stagiaire à Quimperlé (de septembre 1886 à mai 1887) puis à Primelin (de mai 1887 à septembre 1888). Son passage éclair à Quimperlé s'explique par les mœurs strictes de l'époque : elle est transférée loin de son premier poste suite à un comportement jugé scandaleux par sa hiérarchie. Célibataire, elle a rencontré un homme divorcé à Lorient et projeté de l'épouser. Elle reviendra à Quimperlé, nous le verrons, quelques années plus tard. Cela ne l'empêche en tout cas pas d'obtenir son certificat d'aptitude pédagogique le 1er juin 1888. Elle devient peu après institutrice titulaire à l'école du Quinquis à Fouesnant (d'octobre 1888 à août 1890). Elle quitte ce poste au cours de l'été 1890 pour prendre la direction de Plovan où elle vient d'être nommée institutrice chargée d'école.



II. Les années plovanaises

Nommée le 23 août 1890, Mademoiselle Le Bœuf n'arrive à Plovan que le 15 septembre suivant pour prendre possession de son nouveau poste, le temps sans doute de prendre des dispositions pour son déménagement, sachant que Plovan est alors une commune relativement isolée. Elle arrive conjointement avec le nouveau directeur, André Salaün, et sa famille. Le deuxième instituteur, Corentin Le Berre, nommé seulement le 31 octobre, arrive le 3 novembre dans la commune qui l'a vu naître 25 ans plus tôt. Ces trois enseignants s'installent dans des locaux neufs ou restaurés, à même d'accueillir l'ensemble des garçons et des filles de Plovan, commune qui compte alors environ 1600 habitants.
La mission la plus délicate incombe à Désirée Le Bœuf : à la différence de ses collègues, elle part de zéro. À l'inverse des jeunes garçons, les familles de Plovan n'ont pas pris l'habitude de laisser leurs jeunes filles quitter la maison (et les tâches qu'elles pouvaient y accomplir) pour se rendre à l'école. Il lui faut donc sensibiliser les notables et les parents à l'obligation scolaire qui touche désormais les filles et vaincre sans doute la méfiance ou l'indifférence que sa démarche peut susciter. C'est dans ce contexte qu'il faut replacer un épisode survenu à la fin de l'année 1890. Le maire de Plovan, Michel Gentric, sans doute influencé par des gens du bourg, reproche à l'institutrice de trop fréquenter le recteur Carval et de le laisser entrer dans l'école des filles. Il s'en plaint à l'inspecteur primaire à Quimper. L'institutrice étant alors célibataire, on peut imaginer que des rumeurs ont circulé sur une éventuelle liaison avec le prêtre âgé alors de 55 ans. Cela démontre l'existence d'un anticléricalisme déjà important chez une partie de la population. L'inspecteur primaire Nonus relativise largement cette affaire qui n'en est pas une dans une lettre à l'inspecteur d'académie datée du 6 décembre 1890 :

« Monsieur l'inspecteur d'académie,
Afin sans doute de compléter sa lettre à M. le Préfet, M. le maire de Plovan est venu à mon bureau mercredi dernier accompagné de M. Voquer père.
D'après lui, M. le recteur serait allé à l'école des filles à diverses reprises et pendant les récréations, il s'enfermerait dans la classe avec l'institutrice.
Il irait ainsi chez cette dernière et une fois il y serait resté jusqu'à 11 heures du soir. Comme je lui disais que j'allais faire venir l'institutrice, il me pria de ne pas lui dire que cela venait de lui. Je le lui promis.
J'ai vu aujourd'hui Melle Le Bœuf et voici ce qu'elle m'a dit : M. le recteur est allé bénir le logement, mais pas les classes. Elle était chez M. Salaün lorsqu'il est arrivé ; il a béni la maison, puis on a trinqué ; on est allé ensuite chez elle, le recteur, M. et Mme Salaün, où on a procédé de la même façon : bénédiction et rafraîchissement. Une autre fois, il est allé avant la classe, causer dans la cour des garçons avec les deux instituteurs et l'institutrice. Deux fois il est allé dans la cour des filles pendant la récréation de 10 heures. Il est entré une fois dans l'école pour voir la peinture, mais la porte n'a pas été fermée. Il est allé chez elle une fois après 4 heures mais il n'y est resté qu'une demi-heure et non jusqu'à 11 heures. La fille du maire, pensionnaire, était présente. Melle Le Bœuf est allée chez M. le recteur deux fois : une fois y passer la soirée avec M. et Mme Salaün à la suite d'une invitation ; une autre fois à la prière de la femme du maire qui l'avait priée d'accompagner sa fille prendre les images que M. le recteur leur avait promises.
Voilà les faits tels qu'ils m'ont été racontés de part et d'autres. M. Salaün m'écrit que jamais le recteur n'est entré dans son école. En ce qui concerne l'école des filles, il y a donc une grande différence entre les deux versions et M. le maire qui me disait être très satisfait de l'institutrice, qu'il ne voudrait pas la voir changer, ne serait-il pas poussé par d'autres ? Quoi qu'il en soit, ainsi que je l'ai recommandé à l'institutrice, il est bon que le recteur n'aille plus dans la cour pendant les récréations.
Si vous jugez qu'une enquête soit nécessaire, je me rendrais sur les lieux.
J'ai l'honneur d'être Monsieur l'inspecteur d'académie, votre très humble serviteur,
 
L'inspecteur primaire Nonus »

 
L'inspecteur d'académie dûment informé par son subalterne peut ensuite écrire au préfet du Finistère deux jours plus tard : 
« Monsieur le Préfet,
J'ai l'honneur de vous transmettre un rapport de M. Nonus au sujet des visites du recteur de Plovan à l'école publique des filles de cette commune et des rapports que ce prêtre aurait avec l'institutrice.
Il en résulte que :
1° le recteur de Plovan a béni, non les classes, mais les logements de l'instituteur et de l'institutrice : ceux-ci étant présents ; on a trinqué chez l'un comme chez l'autre ;
2° le recteur a causé une autre fois, dans la cour des garçons avec les instituteurs et l'institutrice ;
3° il est allé deux fois dans la cour de l'école des filles à 10h pendant la récréation ; il est entré une fois dans la classe, sans qu'aucune porte ait été fermée ; une autre fois, il est allé chez l'institutrice à 4h du soir et y est resté une ½ heure, et non jusqu'à 11h comme il a été dit au maire.
4° l'institutrice est allée deux fois chez le recteur ; une fois avec l'instituteur et sa femme, en visite et pour passer la soirée ; une autre fois, pour y accompagner la fille du maire & à la prière de Mme Gentric.
J'ai lieu de croire que ces faits sont exacts et qu'il n'y a rien eu de plus. Tout le reste n'est qu'insinuation calomnieuse ; la bonne foi du maire, qui habite assez loin du bourg, a été trompée.
Quant aux visites du recteur à l'école, elles n'auront plus lieu d'aucune manière, & l'institutrice, qui n'est allée que deux fois chez lui, nous avons vu dans quelles circonstances, n'y retournera plus.
Je dois ajouter que le recteur de Plovan, loin de chercher à nuire aux écoles laïques, y envoie des élèves.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de mon respectueux dévouement.

L'inspecteur d'académie »

Un commentaire du préfet ou d'un de ses subordonnés précise en marge : « Je trouve cette défense excessive. On ne peut l'en empêcher. Ce serait maladroit, excessif. On ne peut interdire cet acte de sa vie privée (écrire en ce sens). »   

Ces simples rapports de bon voisinage entre les instituteurs et le curé de Plovan, largement détournés par quelques personnes malveillantes, laissent imaginer le climat pesant qu'a pu connaître Désirée Le Bœuf dans les premiers mois de sa présence à Plovan mais mettent aussi à bas l'image d'un antagonisme systématique entre l'école de la République et l'Église catholique, impression que confirment les souvenirs de Georges Goraguer lorsqu'il évoque l'affection du même recteur Carval (surnommé Teuteur) pour ses frères jumeaux Léon et Lucien.
Une fois passées ces premières difficultés, Désirée Le Bœuf poursuit son travail de longue haleine pour éduquer les petites plovanaises. Elle est inspectée à plusieurs reprises (10 avril 1891, 16 février 1892, 18 novembre 1893...) ; à chaque fois, on note un écart important entre le nombre d'élèves inscrites et le nombre d'élèves présentes : 



10 avril
1891
16 février 1892
18 novembre 1893
Élèves inscrites
68
64
53
Élèves présentes
37
34
31

Le rapport de 1893 indique qu' « une violente tempête a retenu chez elles les enfants des villages et des fermes ». Mais il ne faut pas se laisser berner par cette excuse. Ce faible nombre d'inscriptions et ce fort absentéisme traduisent la difficulté qu'elle rencontre à convaincre les familles de laisser leurs filles venir à l'école comme la loi les y oblige pourtant. 
 
 


Photographie des élèves de l'école des filles entre 1890 et 1892 (DR)


Loin de lui en faire le reproche, il faut rappeler à sa décharge qu'elle est partie de rien à Plovan. Elle peut donc poser fièrement sur cette photographie inédite de l'école des filles de Plovan, que nous devons à Jean-Yves Marchand. Datant des années 1890 à 1892, on y voit Mademoiselle Le Bœuf assise au deuxième rang, au milieu d'une trentaine de ses élèves en coiffe, le visage sérieux. Sur la gauche, on voit l'épouse du directeur (Marie-Reine Thos, épouse Salaün), la mère des 6 fillettes en habits modernes. Enfin, à droite au dernier rang, on aperçoit une bonne. L'existence de cette photographie de l'école des filles, sans doute une des plus anciennes prises à Plovan, laisse du même coup supposer l'existence de son pendant pour l'école des garçons... aujourd'hui perdu.

Les années passent et Désirée Le Bœuf voit se succéder plusieurs directeurs à la tête de l'école des garçons : après André Salaün (1890-1892), elle voit arriver Jean Émile Mazé (1892-1893) puis Louis Nédélec (1893-1901). Elle ne connaît en revanche qu'un seul instituteur adjoint, Corentin Le Berre, personnage qui nous est désormais familier grâce au travail de son petit-fils Jean-Yves Marchand. Elle rencontre également un autre instituteur, de 4 ans son aîné, célibataire comme elle, nommé à Peumerit en septembre 1893. Il s'agit de Francis Appéré (1864-1945), natif de Saint-Pol-de-Léon. Les deux enseignants se marient le 17 avril 1894 à Plovan en présence de nombreux collègues et amis : Martin Stéphan, 38 ans, instituteur à Peumerit, Louis Nédélec, 40 ans, instituteur à Plovan, Yves Riou, 34 ans, instituteur à Tréogat, et Georges Voquer, 23 ans, étudiant en droit, de Peumerit. Le couple vit au bourg de Plovan, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes puisque Francis Appéré conserve son poste à Peumerit jusqu'en octobre 1896 avant d'être transféré à Tréogat. Il doit donc faire quotidiennement l'aller-retour entre son domicile et son école, sans doute à pied. On imagine la fatigue que ce rythme de vie occasionne, d'autant que leurs premiers enfants voient le jour à Plovan : Jeanne Louise Appéré, née le 26 janvier 1895, puis Marie Lucie Appéré, née le 21 septembre 1897. En juin 1897, après trois années de ce régime, souhaitant logiquement obtenir un poste double pour elle et son mari, Désirée Appéré écrit à l'inspecteur pour lui demander leur nomination dans une même commune. Elle obtient gain de cause puisqu'ils sont nommés à Pleyben pour la rentrée suivante.



III. La suite de sa carrière

La famille Appéré quitte donc le bourg de Plovan dans le courant de l'été 1897 pour se rendre à l'école de Pont Keryeau à Pleyben. C'est là que naissent les deux derniers enfants du couple : Georges Appéré, né le 14 janvier 1901, et Robert Appéré, né le 21 mai 1902. Ils sont ensuite nommés à Collorec (septembre 1902) et finalement à Quimperlé (décembre 1911), où Désirée et Francis Appéré achèvent leurs carrières en juin 1922.

Photographie où figurent Désirée et Francis Appéré, alors âgés de 66 et 69 ans, à gauche, prise en 1933 (Robert Appéré DR)


Au terme d'une vie bien remplie, veuve, elle meurt le 28 août 1946 à Rennes, où vit son fils Robert, à l'âge de 79 ans.


*
*    *

J'espère, par ce texte, avoir permis de réparer l'oubli qui entourait cette femme au parcours si singulier, qui a sans aucun doute joué un rôle important dans l'histoire scolaire de Plovan et dont l'action a marqué un tournant décisif bien que balbutiant dans l'émancipation des Plovanaises. Je tiens à remercier tout particulièrement M. Robert Appéré, petit-fils de Désirée Le Bœuf-Appéré, pour sa gentillesse et pour les documents et les renseignements qu'il a bien voulu me communiquer. Je veux y associer M. Jean-Yves Marchand, petit-fils de Corentin Le Berre, pour avoir eu la bonne idée de m'envoyer cette photographie oubliée découverte dans ses papiers de famille. Le travail de recherche entamé en avril 2010 sur l'histoire des écoles de Plovan se poursuit et n'a sûrement pas fini de livrer tous ses trésors !


Mathieu GLAZ



Sources et bibliographie

Archives départementales du Finistère : 1 T 92 (documents sur l'école publique de Plovan entre 1831 et 1926), 1 T 484 (dossier de Francis Appéré), 1 T 601 (dossier de Désirée Le Bœuf).

Jean-Yves MARCHAND, Souvenirs d'enfance : Corentin Le Berre et autres histoires, Association du patrimoine de Plovan, 2013.

Rebecca ROGERS, Les demoiselles de la Légion d'honneur : les maisons de la Légion d'honneur au XIXe siècle, Plon, 1992.

jeudi 10 avril 2014

Concert de musique de la Renaissance et Baroque à Tréogat

L'association des amis de la bibliothèque de Tréogat organise un concert mardi 22 avril à 20 heures à l'église paroissiale. Un trio de flûtes à bec interpréteront des œuvres de Dufay, Binchois, Ruffo... Participation libre.


L'énigmatique trésor de Kervoalen

À l'occasion de leur séance du 26 février 1903, certains membres de la vénérable Société archéologique du Finistère découvrent une série de « coupes » en argent présentée par leur président, Paul du Châtellier. Ces trois objets ont été exhumés quelques semaines plus tôt par un paysan plovanais alors qu'il travaillait dans son champ à Kervoalen. Retour sur cette curieuse histoire...

Au premier étage du Musée breton à Quimper, dans l'espace consacré à l'orfèvrerie, on peut observer une série d'objets en argent au centre desquels se trouve une coupe acquise en 1993 par le département du Finistère et dont la note explicative apprend aux visiteurs qu'elle a été découverte à Plovan au début du  XXe siècle. Revenons tout d'abord sur cet événement.

Vitrine des pièces d'orfèvrerie en argent (Musée départemental breton, Quimper)


I. La découverte

La scène se déroule le lundi 19 janvier 1903. Un certain Le Glaz s'active muni de sa bêche sur une parcelle à l'est de sa ferme, à Kervoalen. C'est alors qu'il brise un vase en argile enfoui sous terre duquel il dégage trois coupes apodes (c'est-à-dire sans pied) en argent, initialement enveloppées d'un morceau de toile dont il ne subsiste que quelques fragments. Après avoir sans doute sondé les alentours pour vérifier qu'il n'y avait pas d'autres caches similaires, il fait part de sa trouvaille à ses proches. La nouvelle se répand dans la commune et parvient probablement jusqu'aux oreilles d'un membre du clergé qui avertit alors le chanoine Jean-Marie Abgrall, membre actif de la Société archéologique du Finistère (SAF). C'est ce-dernier qui prévient le savant Paul du Châtellier, de Pont-l'Abbé, qui se rend sur place et acquiert les trois coupes.


Les 3 fermes de Kervoalen en 1828 (extrait de la section E 1 de l'ancien cadastre de Plovan)

Qui sont ces différents personnages ? Le découvreur (ou l'inventeur, au sens archéologique du terme) est peut-être Michel (Le) Glaz (1819-1904) ou son fils Henri (1850-1917), cultivateurs à Kervoalen (et accessoirement mes quadrisaïeul et trisaïeul !). Michel Le Glaz et Catherine Le Pemp sont venus s'installer dans cette ferme dès les années 1860. Nous ignorons cependant s'ils vivent à Kervoalen izella, Kervoalen creis ou Kervoalen huella (voir le plan ci-dessus).


Le chanoine Jean-Marie Abgrall (1846-1926)

Jean-Marie Abgrall (1846-1926), l'informateur, est un prêtre d'origine léonarde, membre du chapitre cathédral, professeur d'archéologie au Grand séminaire de Quimper et, comme on l'a dit, membre éminent de la SAF. Ses nombreux articles témoignent de son intérêt pour l'architecture religieuse du diocèse ; il s'est lui même essayé à l'architecture en dressant les plans de plusieurs églises et chapelles du département (on lui doit en particulier les églises de Plogastel-Saint-Germain et de Landudec).


Autoportrait de Paul du Châtellier (1833-1911)



Quant à Paul Maufras du Châtellier (1833-1911), l'acquéreur, il est l'un de nos plus importants archéologues et préhistoriens finistériens. Il préside la SAF entre 1897 et 1911. Il connaît déjà Plovan pour y avoir mené des fouilles, seul ou en compagnie de son père Armand, à Renongar et au Crugou dans les années 1870. Son manoir de Kernuz en Pont-l'Abbé abrite une importante collection entamée par son père et qu'il a amplement complétée ; elle a été acquise en 1924 par le Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye.



II. Les objets et leur usage

Après avoir présenté ces acquisitions en février 1903, Paul du Châtellier mène quelques recherches complémentaires et publie ses conclusions en 1905 à la fois dans le bulletin de la SAF et dans le bulletin monumental (voir la bibliographie en fin d'article).


Coupe n° 2 (Musée départemental breton, Quimper)


Il énonce par le menu les dimensions des 3 coupes (voir le tableau ci-dessous) et décrit leur décor intérieur : toutes trois sont ornées de six ou sept cupules et de rosaces dorées plus ou moins élaborées. 



Coupe n° 1
Coupe n° 2
Coupe n° 3
Diamètre
21,5 cm
21 cm
18,8 cm
Profondeur
4,5 cm
4,2 cm
4,1 cm
Épaisseur du bord
0,3 cm
0,25 cm
0,2 cm
Poids
222,8 gr
201,8 gr
149,4 gr
Inscription
Effacée par le fourbissage des inventeurs
Y : A U : T R : E D : O U : K/ D
Y : A : AUTREDOU : K/DRELEC

Du Châtellier donne en particulier une description précise de la coupe n° 2 exposée de nos jours au musée de Quimper : « C'est certainement celle des trois dont la décoration intérieure est la plus élégante. Le fond, repoussé vers l'intérieur, présente intérieurement une convexité sur laquelle on remarque six cupules de 0 m. 028 de diamètre. Dans chacune des cupules est un groupe de trois boutons de même diamètre, enfin, le centre de la coupe est orné d'une élégante rosace au milieu de laquelle est un bouton conique de 0 m. 008 de diamètre, doré, ainsi que la rosace. »

Décor intérieur de la coupe n° 2 (Musée départemental breton, Quimper)


La question de leur usage a donné lieu à plusieurs interprétations. Du Châtellier avance l'hypothèse d'objets appartenant au mobilier d'une riche maison, donnés (peut-être par testament) au trésor d'une église ou d'une chapelle et qui auraient dès lors eu un usage liturgique. Il choisit, sans qu'on sache trop pourquoi, de les attribuer au trésor de la chapelle Notre-Dame-de-Penhors. Il écarte l'idée d'une pièce d'ornementation, d'un plat à quêter mais retient celles d'un hanap (récipient pour boire) ou d'un plat pour déposer un linge ou faire des ablutions. Il cite également les renseignements du chanoine Paul Peyron et de l'archiviste départemental Henri Bourde de la Rogerie qui voient respectivement dans ces objets des coupes d'appoint pour distribuer les hosties quand les fidèles arrivent nombreux à l'office ou encore une coupe de vin pour l'eucharistie. L'absence de signe religieux sur les coupes rend pourtant difficilement admissible leur lecture comme des objets liés au culte catholique.


Photographies des coupes n° 2 (en haut et en bas à droite) et n° 3 (en bas à gauche) illustrant l'article de Paul du Châtellier


Pour l'historien Léon Germain de Maidy, qui publie la même année dans le Bulletin monumental un article en réaction à celui de Paul du Châtellier, ces objets n'ont pas été employé pour la communion. Selon lui, il n'y a pas de place au doute : ce sont des drageoirs. Il s'appuie dans sa démonstration sur une étude de pièces a priori similaires ayant appartenu à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne dans la seconde moitié du XVe siècle. À sa cour, ces drageoirs servaient à recevoir des « épices », c'est-à-dire des dragées, des confitures ou des sucreries. L'auteur conclut en annonçant clairement qu' « on peut les dénommer drageoirs ou assiettes à épices pour les jeûnes ecclésiastiques et l'attente de la communion ». C'est intéressant mais est-il possible de comparer le mode de vie du duc Charles, l'un des hommes les plus puissants d'Europe, et de son entourage avec celui du propriétaire de nos 3 coupes, tout au plus un petit notable bas-breton qui lui serait contemporain ou légèrement postérieur ? Il faut admettre que non.


De toutes ces propositions plus ou moins confuses, laquelle faut-il retenir ? Une solution éclairante est venue des travaux du père Yves-Pascal Castel sur l'orfèvrerie bretonne. Ce savant place les coupes n° 2 et n° 3 dans la famille des « pièces d'orfèvrerie civile gothique destinées à la boisson appelées coupes, hanaps ou tasses, sans pied ». Il précise également à propos de la coupe n° 2 que cette œuvre revêt une grande importance pour l'histoire de l'orfèvrerie : « Elle témoigne de la diffusion en Cornouaille de ce modèle gothique de coupe à boire assez rarement conservé en France, et se présente à la fois comme l'une des plus anciennes pièces connues d'orfèvrerie civile de Bretagne et comme la première aux poinçons de Quimper ».


Coupe n° 2 (Musée départemental breton, Quimper)



III. L'histoire des coupes


Maintenant que nous savons que nos coupes en argent servaient à boire, essayons de retracer leur histoire en déterminant qui les a fabriquées et quels étaient leurs premiers propriétaires.
La note explicative du musée de Quimper indique, d'après des poinçons qui avaient échappé à Du Châtellier, que la coupe n° 2 est l'œuvre du maître-orfèvre François Moéam : « poinçons de maître (F et M couronnés), de jurande (hermine passante surmontant un K gothique) ».


Détail de la coupe n° 2 avec les poinçons (Musée départemental breton, Quimper)


Les poinçons de maître sont ces marques laissées par l'artisan afin d'indiquer que c'est dans son atelier que la pièce a été produite. Le poinçon de jurande précise à quel corps de métier juré appartient l'orfèvre, en l’occurrence à la communauté des orfèvres de Quimper dont le symbole est alors une hermine passante tenant un K (pour Kemper).


Poinçons de maître François Moéam : les initiales F M couronnées


Cet artiste quimpérois n'est pas un complet inconnu. Les historiens de l'art lui attribuent différentes pièces d'orfèvrerie religieuse composées dans le premier quart du XVIe siècle : les calices et les patènes en argent de Clohars-Fouesnant, de Kergloff, remanié au XIXe siècle, de Briec ou encore de Plouzané.

Calice en argent de Clohars-Fouesnant


En décembre 1514 et avril 1515 (n. s.), François Moéam est mentionné dans un compte de la fabrique de la cathédrale de Quimper pour avoir blanchi les lampes et les encensoirs et pour avoir réparé la croix d'argent de l'église. Plusieurs de ses homonymes s'illustrent dans la vie publique de la cité épiscopale tout au long du XVIe siècle.



Calice en argent doré de Kergloff


Concernant la coupe n° 3, actuellement conservée au Musée Dobrée à Nantes, elle se rapproche par sa forme et son décor de celle de François Moéam bien qu'elle soit plus petite. Elle ne porte qu'un poinçon de maître : les initiales T et S (ou S et T) entrelacées. Il s'agit selon toute vraisemblance là aussi d'un maître quimpérois, contemporain du précédent.

Décor intérieur de la coupe n° 3 (Musée Dobrée, Nantes)


Quant à la coupe n° 1, nous ne sommes pas parvenus à la retrouver. Plusieurs ateliers d'orfèvres de Quimper se situaient dans la rue des Cordonniers et non loin du couvent Saint-François (actuellement rue Kéréon et halles municipales). Certains auteurs signalent aussi une rue des Fèvres, actuelle rue du Chapeau Rouge. C'est sans doute dans l'un ou l'autre de ces ateliers que nos coupes furent réalisées et acquises par leurs premiers propriétaires.

S'agissant de ces-derniers, les inscriptions figurant au revers d'au moins 2 des 3 coupes découvertes à Plovan indiquent, comme il est précisé dans le tableau ci-dessus, qu'elles ont appartenu à un moment donné à un dénommé « Y. A. Autredou » originaire de ou vivant à « Kerdrelec ». Du Châtellier les attribue un peu rapidement à un Yves Lautrédou, meunier au moulin de Kerdelec en Pouldreuzic. Son interprétation repose sur de maigres indices : il précise que Lautrédou est un « nom de famille existant encore dans la commune de Pouldreuzic et en Lababan [...] Sur de vieux registres de Lababan, commune pendant la Révolution, on voit figurer le nom de Lautrédou comme maire ». Or le nom de famille Lautrédou, issu d'un diminutif du prénom Autret, se retrouve couramment dans le secteur de Plovan, et pas seulement à Lababan ou à Pouldreuzic. Par ailleurs, une autre lecture de l'inscription donnerait Yan (c'est-à-dire Jean) Autrédou au lieu d'Yves.
De même, le nom de lieu Kerdelec, qui serait la forme moderne du « Kerdrelec » inscrit sur la coupe n° 3, se rencontre certes à Pouldreuzic mais aussi à Saint-Evarzec ou à Rédéné. On trouve même un Kerdellec à Lanvénégen... Selon Albert Deshayes, les anciennes graphies du Kerdelec de Pouldreuzic, siège d'un manoir, étaient « Kerardelec » (1410), « Kerardellec » (1542) ou « Kerade-lec » (1679), en aucun cas Kerdrelec. Faute de recherches plus approfondies, il nous semble imprudent d'affirmer de façon ferme et définitive, comme a pu le faire Paul du Châtellier et quelques auteurs après lui, que le propriétaire des coupes était un meunier pouldreuzicois, même si cette hypothèse reste plausible. 
N'oublions pas par ailleurs qu'il y a aussi un Kerdrézec en Plovan, à proximité immédiate de Kervoalen... Est-il possible que le L gothique ait été confondu avec un S, ce qui donnerait Kerdresec au lieu de Kerdrelec ? Toujours selon Albert Deshayes, les anciennes graphies de Kerdrézec donnent « Kerdrezec » (1514) et « Ker-dreseuc » (1546). Aucun spécialiste n'ayant à ce jour avancé cette lecture, je me garderai de privilégier cette hypothèse séduisante au risque d'être accusé de vouloir rattacher ces coupes à Plovan au détriment de Pouldreuzic ! Des recherches complémentaires s'imposent pour tenter d'éclaircir ce point litigieux.

Ces considérations ne répondent pas de toute manière à la question qui nous paraît la plus intrigante : par quel concours de circonstances ces coupes en argent du début du XVIe siècle se sont-elles retrouvées cachées dans un champ à Kervoalen ? 
Le soin qu'on a mis à les enfouir (recouvertes d'une toile et placées l'une dans l'autre dans un vase en terre cuite) et le relatif bon état de conservation des objets tendraient à penser que l'opération n'a pas été menée dans la précipitation. Vu l'état de décomposition de la toile, l'enfouissement des coupes remonte bien en amont de leur découverte. Le fait que Monsieur Glaz les trouve par hasard au cours de l'hiver 1903 dans sa parcelle nous apprend enfin, rappelons-le au risque de faire une lapalissade, que celui ou ceux qui les ont dissimulées ne sont jamais venus les récupérer ! 
Ces éléments factuels posés, on n'est pas beaucoup plus avancé... L'hypothèse d'une cache de voleur(s) venu(s) mettre un butin à l'abri ne nous paraît pas résister à l'épreuve des faits. Nous opterions plutôt pour celle d'un propriétaire soucieux de protéger son bien de convoitises hostiles, bien que ça n'explique pas pourquoi il ne serait pas venu les reprendre. Entre les années 1500 et les années 1900, quels événements à Plovan ou dans les environs pourraient justifier que quelqu'un désire cacher ainsi cette précieuse vaisselle ? On pense immédiatement au noble-brigand La Fontenelle et à sa bande qui, à l'extrême fin du XVIe siècle durant les guerres de la Ligue, ravagent le pays de Douarnenez à Penmarc'h. On pense aussi aux troubles engendrés par la Révolution française, par exemple aux malheurs du recteur Riou de Lababan. Mais peut-être ne faut-il pas à tout prix chercher à rattacher l'histoire de nos coupes à tel ou tel épisode marquant de l'histoire locale et simplement y voir un geste individuel déconnecté de tout contexte historique.


*
*    *

Au moment de conclure, le mystère entourant ces objets reste épais et chacun peut laisser son esprit échafauder sa propre théorie sans qu'on puisse lui asséner telle ou telle vérité historique. C'est peut-être ce qui rend l'histoire de ces trois coupes de Plovan si frustrante pour l'historien mais aussi si plaisante pour l'imagination ! C'est en tous cas une bonne occasion pour aller découvrir ou redécouvrir par vous-même ces coupes à Quimper et à Nantes et en profiter pour flâner à travers les riches collections de ces deux musées bretons.


Mathieu GLAZ



Bibliographie

Paul du CHÂTELLIER et Antoine FAVÉ, « Procès-verbal de la séance du 26 février 1903 », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 30, 1903, p. VII-VIII. [cliquez ici]

Paul du CHÂTELLIER, « Trois vases en argent découverts à Plovan (Finistère) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 32, 1905, p. 164-168 + planche. [cliquez ici]


Paul du CHÂTELLIER, « Trois coupes en argent découvertes à Plovan (Finistère) », Bulletin monumental de la Société française d'archéologie, t. 69, 1905, p. 41-46 + planche (texte quasi identique à l'article précédent) [cliquez ici]

Léon GERMAIN de MAIDY, « La destination primitive des "coupes" de Plovan », Bulletin monumental de la Société française d'archéologie, t. 69, 1905, p. 233-238. [cliquez ici]


Yves-Pascal CASTEL, Tanguy DANIEL, Georges-Michel THOMAS, Artistes en Bretagne. Dictionnaires des artistes, artisans et ingénieurs en Cornouaille et en Léon sous l'Ancien régime, Quimper, SAF, 1987, p. 263-264.

Yves-Pascal CASTEL, Denise DUFIEF-MORIEZ, Jean-Jacques RIOULT, Dictionnaire des poinçons de l'orfèvrerie française : les orfèvres de basse Bretagne, Inventaire général, SPADEM, 1994, p. 159, 250-254, 261.

Albert DESHAYES, Dictionnaire topographique du Finistère, Spézet, Coop Breizh, 2003.